ordonnance prise sur le fondement de l’article 11 de la loi d’urgence
Son objet est de protéger l’autorité contractante (par exemple une administration centrale), d’une part, et les opérateurs économiques qui exécutent la commande publique, d’autre part, tout en maintenant la continuité des services publics.
La Direction
des affaires juridiques du ministère de l’action et des comptes publics a bien
précisé que les mesures que comprend l’ordonnance visent « l’ensemble
des contrats de la commande publique, c’est-à-dire les marchés publics et les
contrats de concession », ainsi que les contrats publics, c’est-à-dire
« l’ensemble des contrats qui s’inscrivent dans la sphère
publique ».
Ces mesures
concernent bien évidemment les contrats conclus postérieurement à
l’entrée en vigueur de l’ordonnance, mais surtout les contrats en
cours : « l’ordonnance s’applique aux contrats qui étaient
en cours d’exécution à la date du 12 mars 2020 et qui ont pu arriver à échéance
ou être résiliés entre cette date et l’entrée en vigueur de l’ordonnance. De
même, les dispositions relatives aux procédures de passation des contrats
s’appliquent aussi bien aux procédures en cours qu’à celles qui sont lancées
pendant la crise sanitaire. » Ce texte ne procède cependant pas à une
modification pérenne du code de la commande publique, mais consiste à adopter
des dispositions de manière provisoire pour une période donnée : contrats
« en cours » ou « conclus » entre le 12 mars 2020 et
la fin de la durée de l’état d’urgence sanitaire, augmenté de 2 mois.
Les
praticiens devront donc appliquer les règles habituelles au-delà de cette
période. Dans l’immédiat, ils doivent respecter les termes du code, à
l’exception des dispositions suivantes :
- Prolongation des délais de réception des
candidatures et offres « d’une durée suffisante » ;
- Si « les modalités de mise en
concurrence » prévues dans le dossier de consultation des entreprises
(DCE), ne peuvent pas être respectées par l’acheteur, celui-ci peut « les
aménager en cours de procédure » ;
- Les contrats arrivés à terme pendant cette
période peuvent être prolongés par « avenant » au-delà de la
durée prévue par le contrat « lorsque l’organisation d’une procédure de
mise en concurrence ne peut être mise en œuvre ». Mais cette
prolongation ne doit pas excéder la durée indiquée plus haut, « augmenté
de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration » ;
- Par avenant, l’acheteur peut modifier les
conditions de versement de l’avance, et aller au-delà de 60% du montant du
marché ou du bon de commande. Pour une avance supérieure à 30% du montant du
marché, l’acheteur « n’est pas tenu d’exiger la constitution d’une
garantie à première demande » ;
- Sauf si le contrat prévoit des dispositions plus
favorables au titulaire, il est possible d’appliquer ceci :
- Si
un délai d’exécution d’une obligation contractuelle « nécessite des
moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge
manifestement excessive », ce délai est prolongé d’une durée
équivalente à la durée du présent dispositif, « sur demande du
titulaire et avant expiration du délai contractuel » ;
- Si impossibilité d’exécuter une obligation
contractuelle, car la « charge [est] manifestement excessive » :
pas de sanction du titulaire, pas de pénalités, pas de responsabilité
contractuelle ; l’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un
tiers, sans frais et risques du titulaire ;
- Si annulation d’un bon de commande ou
résiliation du marché par l’acheteur, en raison de mesures prises par les
autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence
sanitaire, le titulaire peut être indemnisé par l’acheteur, des dépenses
engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de
commande annulé ou d’un marché résilié ;
- Si suspension d’un marché à prix forfaitaire, en
cours d’exécution, l’acheteur procède sans délai au règlement du marché. À
l’issue de la suspension, un avenant détermine les modifications du contrat
éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation, ainsi
que les sommes dues au ou par le titulaire ;
- Si suspension de l’exécution d’une concession,
tout versement d’une somme au concédant est suspendu. Si la situation du
titulaire le justifie, une avance sur le versement des sommes dues par le
concédant, peut lui être versée ;
- Si
modification « significative » par le concédant des modalités
d’exécution du contrat, le concessionnaire a droit à une indemnité pour
compenser le surcoût de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux,
lorsque la poursuite de l’exécution impose des moyens supplémentaires non prévus
au contrat initial, ou qui représenteraient une charge manifestement excessive
pour le concessionnaire.
Les difficultés posées par l’ordonnance
Le renvoi à
« l’avenant » :
un risque de confusion juridique avec des conséquences pratiques délicates
L’ordonnance
a recours à plusieurs reprises à un outil parfois long à mettre en œuvre :
l’avenant. Or ce terme ne bénéficie de strictement aucune définition dans le
nouveau code de la commande publique. Bien que ce terme soit défini dans le
Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), mais le nouveau code parle
lui d’« acte modificatif intervenu en cours d’exécution »…
En effet, un
acte modificatif peut être unilatéral et pas obligatoirement bilatéral. S’il
est unilatéral, il peut être très rapidement rédigé et signé par le pouvoir
adjudicateur. Or, un avenant suppose un engagement de deux parties, donc un
échange de document écrit, avec aller-retour, des signatures qui peuvent ne pas
être électroniques (ce n’est pas obligatoire en France), et parfois un passage
en commission d’appel d’offres (CAO) pour certaines procédures de passation où
l’avenant entraînerait une augmentation de plus de 5% du montant initial.
L’acheteur pourrait évidemment s’exonérer d’une CAO, en invoquant l’urgence
prévue expressément dans le CGCT, mais certaines collectivités doivent adopter
une délibération pour signer un avenant, ce qui risque d’être extrêmement long
dans le contexte actuel.
L’ordonnance
aurait donc dû renvoyer à un acte unilatéral modificatif d’un marché (terminologie
issue des directives européennes et donc intégrée pour cette raison dans notre
code de la commande publique – décidément le droit de l’Union européenne nous
complique la vie quotidienne). Les acheteurs publics auraient pu ainsi se
contenter d’un « ordre de service » (OS) ou la notification
d’une décision unilatérale, d’autant plus que les dispositions de l’ordonnance
prévoient uniquement des souplesses favorables aux opérateurs économiques qui
ne seraient donc pas contestées par ces derniers. Par ailleurs, modifier un
contrat par le biais d’un simple acte modificatif unilatéral ou un OS est
également parfaitement prévu par les directives européennes et par le code.
Plutôt que
de simplifier et d’aller vite, l’ordonnance a donc eu recours à un concept lourd
et inadapté.
Concessions, avances …
beaucoup d’imprécisions
Concessions
Si une «
modification significative » du contrat est devenue indispensable, l’article 6
de l’ordonnance prévoit une obligation d’indemnisation du concessionnaire, et
ne prévoit pas l’hypothèse d’un rallongement de la concession afin de permettre
de rééquilibrer le volet financier du contrat (l’article 4 ne permettant un tel
rallongement que dans une hypothèse de problèmes de passation et non
d’exécution, et pour une durée bien déterminée). On aurait dû prévoir une telle
alternative, au choix de l’acheteur public.
Avances
L’ordonnance
ne fait pas obligatoirement sauter le verrou de l’exigence d’une caution
personnelle et solidaire, ou d’une garantie à première demande, qui dissuade les
opérateurs économiques à ne pas renoncer à en bénéficier d’une. Or de nombreux
acheteurs publics exigent de telles garanties. L’ordonnance se contente de dire
qu’ils peuvent s’exonérer de « la garantie à première
demande » si l’avance est supérieure à 30% du montant du marché.
L’article 5 de l’ordonnance ne changera donc pas grand-chose en pratique. Elle
s’en remet au bon vouloir des acheteurs, qui demeurent attachés à de telles
garanties, qui s’avèrent coûteuses pour les entreprises… et qui finissent par
renoncer dans 80 % des cas à bénéficier d’une telle avance.
Indemnisations
Lorsque
l’article 6-3 prévoit une indemnisation du titulaire d’un marché, en cas de
résiliation ou d’annulation d’un bon de commande, intervenue en raison de
mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, il ne renvoie pas à
une éventuelle indemnisation par l’État. Or s’agissant d’une mesure prise par
l’État, la collectivité n’en est pas l’auteur. Elle est en droit d’engager une
action contre l’État auteur de la décision qui lui a été préjudiciable.
Les rallongements de
délais risquent d’être contestables
Le
rallongement des délais d’ouverture à la concurrence prévu par l’ordonnance,
renvoie à une notion floue, de « délai suffisant ». Or le lien
de causalité entre l’état d’urgence sanitaire et la nécessité de rallonger le
délai risque – parfois – d’être contestable. En effet, si la remise
dématérialisée de propositions à un marché n’était pas obligatoire, on pourrait
aisément comprendre la nécessité de rallonger le délai, compte tenu des
difficultés de transmission par voie postale. Mais s’agissant d’outils
informatiques, fonctionnant parfaitement, le juge risque de ne pas approuver la
contestation d’une absence de report de délai. Un tel report s’impose quoi
qu’il en soit, si une remise d’échantillons ou d’esquisse ou de tout autre
élément physique, doit intervenir dans le cadre de la procédure de
consultation.
L’expression
de « charge manifestement excessive » utilisée par
l’ordonnance, n’est pas définie. On aurait pu établir une proportion traduisant
le bouleversement de l’économie générale du marché, cela aurait évité des
différends probables entre les parties contractantes (avec exigence de preuves,
basées par exemple, sur la valorisation de moyens humains et techniques
supplémentaires, etc.). On a bien défini dans le code de la commande publique,
le seuil de 15% (travaux) et de 10% (fournitures, services) pour certains actes
modificatifs. On aurait pu mentionner qu’une charge manifestement excessive
signifie une augmentation de 50% – sur la période concernée – des contraintes
humaines ou techniques que supporterait le titulaire. Certains pourraient
considérer qu’un tel seuil de 50% minimum serait excessif, et qu’un seuil à 30%
d’impact financier valorisé et pouvant être prouvé, pourrait suffire… d’où
l’intérêt de fixer réglementairement un seuil de validité légale, sécurisant
les décisions des collectivités locales.
Les termes de l’article 6-4 de
l’ordonnance enfin : si un acheteur suspend un marché à prix forfaitaire,
il procède « sans délai » au règlement du marché « selon
les modalités et pour les montants prévus par le contrat ». Cette
formulation semble cohérente, mais elle aboutit à une contradiction : on a
voulu permettre la rapidité de paiement, or … s’il s’agit d’un marché de
travaux à forfait, les « modalités prévues par le contrat »
pour le paiement d’un tel marché, sont pour le moins relativement longues. La
suspension de l’exécution d’un marché de travaux, suppose le constat
contradictoire des travaux exécutés, l’intervention du maître d’œuvre sur le
chantier pour constater les travaux réalisés, le recours le cas échéant à un
huissier, l’établissement d’un décompte, etc. L’ordonnance renvoie à
l’établissement d’un avenant à l’issue de la période de suspension, pour
régulariser le volet financier du marché (sommes dues au titulaire, ou le cas
échéant, sommes dues à l’acheteur).