Appel pour faire du 22 mai une journée d’actions pour la sécu. Pour que vive la Sécurité sociale ! Plus que jamais !

Réunis, à Saint-Étienne, à l’occasion du 75e anniversaire de l’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la Sécurité sociale, nous lancions un appel pour défendre et reconquérir la Sécurité sociale, notre bien commun. Nous décidions aussi d’ouvrir le chantier de son développement pour un nouveau progrès de société.

Malgré les conditions difficiles imposées par la crise sanitaire, de nombreuses réunions d’échanges et d’éducation populaire se sont tenues par nos propres organisations ou en commun dans le cadre de la Convergence nationale des services publics. Des initiatives symboliques, comme nommer des rues « Ambroise-Croizat » ou pétitionner pour son entrée au Panthéon, ont été initiées. Ces dernières semaines, alors que la campagne de vaccination reste toujours à la traîne, de nombreuses initiatives ont eu lieu pour faire du vaccin un bien public mondial, pour créer un pôle public du médicament et prendre la main sur le brevet et sa production : initiative citoyenne européenne « Pas de profit sur la pandémie », pétition « Brevets sur les vaccins anti-Covid, stop. Réquisition ! »…

Il y a urgence aujourd’hui à se mobiliser pour sauver notre Sécurité sociale mise en péril par les réformes libérales successives. La menace de laisser à la charge de la Sécurité sociale les milliards de dettes contractées durant cette crise sanitaire n’est pas acceptable. Nous devons créer les conditions d’un débat public et de mobilisation de nos concitoyens pour revendiquer une véritable Sécurité sociale du XXIe siècle pour toutes et tous. Nous avons toutes et tous droit à la sécurité pour notre santé, notre logement, notre famille, nos retraites.

La Sécurité sociale a, avant tout, été pensée comme une protection socialisée, une « assurance » collective contre les aléas de la vie. Elle n’est ni un simple filet de sécurité pour les plus modestes ni un saucissonnage de différents risques individuels sur le modèle des assurances privées. Nous devons continuer à réfléchir collectivement pour une Sécurité sociale intégrant le remboursement à 100 % des soins et de la prévention ainsi qu’à l’incorporation de la 5e branche au sein de l’assurance-maladie.

La Sécurité sociale doit devenir une protection solidaire de haut niveau pour toutes et tous de la naissance à la mort. Avec les services publics, elle doit répondre aux besoins de notre siècle. Convergeons pour l’étendre, la renforcer, la réorienter sur ses principes fondateurs : unicité, universalité, solidarité et démocratie. La Sécurité sociale appartient aux salariés et doit donc dépendre d’eux comme cela fut le cas à sa création. Les élections aux caisses instituées le 24 avril 1947 doivent être remises à l’ordre du jour.

Mais, pour que le rôle des administrateurs élus ne se résume pas à gérer une pénurie organisée par le gouvernement, simultanément la pérennité des ressources doit être garantie en les faisant reposer de façon prépondérante sur les cotisations. D’autre part, de nouveaux financements doivent être débattus. Tout nous invite à trouver les ressorts d’une nouvelle dynamique convergente. À l’occasion des 75 ans de la loi portant généralisation du « régime général » de la Sécurité sociale, faisons du 22 mai une journée d’actions pour exiger le renforcement, le développement et la démocratisation de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale est notre bien commun.

La République n’a rien à attendre de généraux réactionnaires

La tribune intitulée « Pour un retour de lhonneur de nos gouvernants » signée par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires est sortie dans Valeurs Actuelles le mercredi 21 avril 2021 à 7 heures du matin. Le symbole est significatif et ne saurait être pris à la légère, 60 ans jour pour jour après le « putsch des généraux » du 21 avril 1961, quand certains militaires avaient prétendu prendre le pouvoir en réaction au retrait français d’Algérie. Au-delà de la date anniversaire, la réthorique est assez similaire.

Ces officiers ont pris la grave responsabilité d’entâcher de déloyauté et de menace de sédition notre armée. L’armée française dans ses profondeurs ne peut être représentée par ces individus qui rompent leurs engagements. Mais si l’armée française n’est pas partie pour faire sécession d’une République qui cultive avec soin le lien entre l’armée et la nation, il y a de quoi s’inquiéter de l’ampleur de ces dérives individuelles, portées par des cadres dont l’attachement à la République n’est que de circonstance à la signature du contrat.

Le texte est court, mais il enchaîne les poncifs et les passages obligés de tout manifeste national-réactionnaire*.

Il invoque la gravité exceptionnelle de la situation pour justifier une sortie du devoir de réserve qui serait « appelée par les événements ». C’est une façon de jouer sur ce qui peut leur servir : le crédit de fidélité et de respect de l’ordre que l’on accorde aux militaires. Ils expliquent ensuite leur sortie par la transcendance du devoir, alors même qu’ils s’en écartent. Après avoir ainsi « capté » son lectorat, le texte peut dérouler une analyse de la situation peu originale, qui énumère les obsessions classiques de l’extrême-droite traditionnelle, réchauffées à l’ambiance d’insécurité des années 2020.

Le premier péril serait l’antiracisme. Pourtant le racisme cause plus de mal et de morts que tout antiracisme (même dévoyé). Si certains militants ou éditorialistes s’égarent, cela justifie-t-il une intervention armée ? Le ridicule ne tue pas, heureusement ! Ces débats qui ont agité les médias font mal à la gauche en l’écartant de la question sociale ; ils suscitent l’indifférence ou la consternation chez la très grande majorité des Français… Mais gageons que la préoccupation des signataires n’est pas de remettre de l’ordre à gauche.

Le deuxième péril viendrait de « l’islamisme et des hordes de banlieue ». L’islamisme est un danger d’ampleur et tangible contre notre société et nos valeurs républicaines. Les réseaux criminels pourrissent la vie de trop de nos concitoyens. Pour éradiquer ces deux dangers, l’intervention militaire n’apporterait rien d’utile, bien au contraire ; c’est à la délibération et au débat démocratiques de départager les solutions à mettre en œuvre (comme celle que nous proposons https://g-r-s.fr/macron-en-campagne-la-securite-vaut-mieux-quun-plan-comm/) et non les fantasmes de « généraux » qui n’ont jamais mis les pieds dans les quartiers populaires et semblent considérer que leurs habitants sont des complices irrécupérables.

Enfin, le dernier péril serait « la haine » qui « prend le pas sur la fraternité lors des manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs ». Voilà l’attaque la plus dangereuse, car le pouvoir macroniste a effectivement usé d’une violence inutile et disproportionnée contre des citoyens français. C’est un détournement odieux, car jamais ce mouvement social inédit n’a émis la moindre sympathie pour les thèses de Valeurs Actuelles et de l’extrême droite. Pour autant, à force de mépriser les Français et les aspirations des catégories populaires et moyennes, à force de leur nier toute possibilité de débouchés économiques et sociaux, une partie d’entre eux désespérant de l’égalité pourrait finir par croire en un sursaut possible grâce à un « nouvel ordre viril ».

Le fait qu’une telle analyse puisse être assumée explicitement et publiquement par plus de mille militaires est en soi un fait politique grave. La conséquence de cette analyse est au moins tout aussi grave : ces mille soldats font-ils courir le risque d’une insurrection ? Ils l’appellent de leurs vœux. Depuis aujourd’hui, certains signataires font marche arrière, expliquant désormais que c’est le pouvoir civil qui sera bientôt contraint de faire appel à l’intervention armée au cœur du pays… Réaction pathétique aux menaces de sanctions disciplinaires absolument nécessaires dont ils sont enfin menacés par leur hiérarchie militaire et gouvernementale.

Il est effrayant que l’exécutif ait mis plus d’une semaine pour réagir enfin à la mesure de la provocation. Il est tout aussi effarant qu’il ait confondu les priorités : s’il fallait dénoncer l’opportunisme et le soutien de Marine Le Pen, qui démontre ainsi que la « dédiabolisation » du RN n’est rien d’autre qu’une façade, c’est en priorité l’autorité républicaine qu’il fallait rétablir contre ces militaires minoritaires.

Nous ne pouvons rester sans réponse face à un pouvoir qui détruit l’espoir dans notre peuple, en réduisant la promesse d’égalité républicaine et les libertés publiques. Et nous ne pouvons laisser non plus s’installer l’idée que l’unique alternative restante serait l’extrême droite. Les difficultés de notre pays et la déconnexion macroniste de la réalité appellent un sursaut politique et démocratique, pour éviter que ne s’installe l’espérance d’un mouvement autoritaire, soutenu ou non par des cadres de l’armée ou de la police. Remettant au goût du jour l’idée selon laquelle la Nation existerait indépendamment de la République, une telle rhétorique laisse bien peu de doute sur la nature du projet politique réactionnaire qui la sous-tend. La gauche doit mettre de côté les disputes accessoires, faire des propositions qui répondent aux aspirations concrètes de nos concitoyens et construire une stratégie de reconquête de l’hégémonie culturelle perdue.

La République Française est une et indivisible ; le pouvoir s’y prend par les urnes et non par les armes. L’armée est au service de la République, elle tire sa légitimité de la défense de cette dernière. Les ennemis de l’intérieur, il en existe et il en a toujours existé ; c’est aux Français et à leurs représentants de les faire reculer avec les moyens qui conviennent dans une démocratie républicaine.

Méditons enfin ce qui a sans doute été une des pires « fausses bonnes idées » des dernières décennies, avec la suppression de la conscription. Nous devons rétablir les conditions d’un encadrement militaire absolument républicain et sanctionner ceux qui ont juré de mettre en danger la communauté nationale en se dressant contre elle parce qu’ils en sont déconnectés. L’armée française doit être l’armée des Français et il convient de réexaminer les conditions dans lesquels ils y reprennent pieds. Relisons L’Armée nouvelle de Jean Jaurès et regardons ensemble comment nous pouvons en appliquer les idées les plus lumineuses aujourd’hui.

* Le pedigree politique des 20 “généraux” en 2e section signataires de cette tribune et mis en avant laisse peu de doute… quelques exemples en photo : Antoine Martinez, leader du groupuscule d’extrême droite VPF, Christian Picquemal habitué des manifestations de la “branche française” du mouvement d’extrême droite allemande Pegida, ou François Gaubert, conseiller régional RN d’Occitanie… on pourrait continuer longtemps comme cela…

Macron en campagne : la sécurité vaut mieux qu’un plan comm’

Le plan comm’ se veut parfait. Un entretien « exclusif » dans Le Figaro, pour séduire un lectorat supposé ancré à droite, publié le dimanche 18 avril, un déplacement de terrain à Montpellier le lendemain pour faire de belles images du Président en maraude avec la BAC, quelques phrases chocs et définitives…

Emmanuel Macron a lancé sa campagne électorale et a décidé de placer la sécurité comme point d’entrée,. Il considère que ce thème est idéal pour consolider sa position dans l’électorat de droite et mettre en scène son duel souhaité avec Marine Le Pen. Pourtant, la sécurité qui a toujours été une préoccupation importante de nos concitoyens vaut mieux qu’une mise en scène d’opérette.

Des affirmations contredites par le terrain

Emmanuel Macron affirme « se battre pour le droit à une vie paisible ». Il a donc d’abord tenu à défendre son bilan au moment où la France doit faire face, selon lui, « à une forte augmentation des violences sur les personnes, qui visent tout particulièrement les détenteurs de l’autorité ». Il promet de « faire reculer la délinquance partout ». Voilà qui est bel et bon. Il promet de tenir son objectif de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires avant la fin du quinquennat ; ainsi « chaque circonscription de police aura plus de policiers à la fin du quinquennat qu’au début, sans exception ». Il insiste : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants ».

Pourtant la réalité vécue par les élus locaux et nos concitoyens dément chaque jour cette affirmation : nombre d’entre eux pourraient démontrer aisément que les effectifs de policiers nationaux ou de gendarmes ne sont pas au rendez-vous, malgré les recrutements engagés dès le précédent quinquennat. De même, le dispositif “Police de sécurité au quotidien” (appellation technocratique pour ne plus dire “police de proximité”) n’est déployé qu’avec parcimonie… y compris dans des communes populaires pour lesquelles tout justifierait son implantation. Dans les faits, les habitants voient chaque jour les distances croître entre eux et leurs commissariats, alors que pour ces derniers les collectivités locales sont souvent appelées à fournir ramettes de papier et encre pour les imprimantes tant il manque du strict nécessaire administratif quand ce n’est pas tout simplement de matériel d’intervention. Doter les agents de police des moyens de faire leur métier, d’être présents sur le terrain en nombre au quotidien, plutôt que de devoir mettre en œuvre une politique du chiffre qui les éloigne de la population : voilà qui permettrait de prévenir voire d’empêcher les agressions dont ils sont aujourd’hui victimes et d’avoir le soutien et la confiance des habitants, nécessaires pour lutter contre les gangs, trafiquants et ennemis de la République. On en est loin… nous le verrons plus loin, la stratégie impulsée par le gouvernement et la hiérarchie détourne en réalité la police de sa mission essentielle sans lui apporter les effectifs là où ce serait nécessaire.

Expliquant qu’il fallait prendre le temps de former, le chef de l’État veut convaincre « qu’aujourd’hui 4 508 policiers et 1 706 gendarmes ont déjà été recrutés, soit 6 214 membres des forces de l’ordre », auquel il faudrait ajouter 2 000 fonctionnaires supplémentaires en 2021. On voit difficilement en refaisant tous les calculs comment on pourrait atteindre l’objectif des 10 000 postes supplémentaires d’ici la fin de son quinquennat. D’autant plus que lorsque l’on consulte les rapports « performances » des ministères à Bercy, c’est une toute autre réalité qui apparaît : en effet, si les effectifs de police et gendarmerie ont bien progressé de 9 789 postes équivalents temps plein (ETP) entre 2013 et 2017 (avec une légère baisse pour la police nationale sous l’effet du dernier budget Sarkozy), ceux-ci baissent clairement – et de manière plus prononcée pour la police nationale – entre le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2020 pour atteindre un déficit global de 1 109 ETP (voir notre infographie ci-dessous). La communication élyséenne est donc une fois de plus prise en flagrant délit de mensonge. S’appuyant sur le vote de la loi « sécurité globale », dont le cœur vise avant tout à restreindre les libertés publiques plutôt qu’à renforcer la sécurité, il annonce enfin la création d’une réserve de 30 000 hommes dans la police. Emmanuel Macron réitère également sa promesse de renouveler 50% du parc automobile de la police. Promesses, promesses de campagne… On verra si, à ces annonces, il faut appliquer le même ratio que pour les postes claironnés par l’Élysée et ceux qui sont réellement détruits : si c’est le cas, ça pourrait faire mal…

Cécité volontaire et entêtement dans l’erreur

Après avoir reconnu l’existence de violences policières, il revient à l’affirmation que celles-ci n’existeraient pas : « Il n’y a pas de violence systémique de la police, c’est faux ». Cette déclaration est tout autant électoraliste que les précédentes : elle vise uniquement à s’attirer les bonnes grâces d’un syndicat de police radicalisé, Alliance, qui défend l’impunité a priori des fonctionnaires de police. Là encore, il s’agit d’asseoir une connivence politique et non d’assurer l’efficacité de la police française en garantissant sa respectabilité chez nos concitoyens.

Disposer d’une police républicaine c’est disposer de fonctionnaires de police respectant les principes et la loi républicaine : le racisme n’y a pas plus sa place que la violence. C’est parce qu’elle est républicaine que son action doit être publique. Cela passe par dénoncer la responsabilité de la hiérarchie et du gouvernement inspirant la dérive malsaine, parce que si peu républicaine, dans une partie de la police. Lorsque le préfet de police de Paris, Didier Lallement, affirme devant des caméras de télévision qu’il existe dans la société deux « camps », n’inspire-t-il pas là une culture de guerre civile, incitant les policiers à regarder leurs concitoyens comme de possibles ennemis ? Lorsque le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « s’étouffe » au mot violence policière, n’entretenait-il pas ainsi une culture de l’impunité mettant la police au-dessus des lois, le contraire même de la République ? La police républicaine doit former ses fonctionnaires, les contrôler, les accompagner et garantir leur conformité aux principes républicains. La GRS a toujours affirmé son attachement à une police républicaine. Nous avons rappelé la nécessité de doter la police des moyens humains, des formations, et des contrôles nécessaires. Nous appelons également à un changement de doctrine, refusant la militarisation à l’américaine initiée par la droite il y a 15 ans, mais amplifiée depuis 2015 par les gouvernements successifs de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Durant des décennies, la police française a été considérée comme un modèle d’efficacité et de pondération, formant à l’étranger des centaines de forces de l’ordre à l’encadrement des manifestations et de certains des débordements qui peuvent malheureusement s’y produire. Depuis six ans, aucune manifestation n’a pu se tenir calmement ; la faute à des éléments radicalisés et agressifs qui visent à chaque fois à détourner les mobilisations syndicales et populaires de leur objet ; mais également à une doctrine d’engagement des forces de l’ordre dont l’objet n’est plus la sécurité des manifestations et des manifestants (en lien avec les organisateurs), mais l’affrontement « viril » avec les casseurs et l’amalgame de ces derniers avec les manifestants pacifiques. Loi Travail XXL, 1er mai, « Gilets Jaunes » … la liste est longue où, sous prétexte d’affronter les black blocs et autres casseurs, ce sont des citoyens pacifiques qui ont été « nassés » et visés par les forces de l’ordre, noyés sous les gaz lacrymogènes et gravement blessés, comme nous ne l’avions plus vu depuis les années 1970 ! Il y a une disjonction totale entre les besoins quotidiens de sécurité et tranquillité publiques réclamées par nos concitoyens qui ne sont pas au rendez-vous et la violence exercée avec des moyens disproportionnés contre l’expression démocratique et constitutionnelle des Français. Le choix électoraliste d’Emmanuel Macron est de poursuivre dans l’erreur en faisant de notre police un outil de « maintien de l’ordre » et non un service public de « gardiens de la paix ».

Sémantiquement et juridiquement, si l’on assemble les éléments de discours de ces derniers mois, couronnés par l’adoption de la proposition de loi « Sécurité Globale », « nous sommes en guerre » avec les mesures prises récemment, « couvre feu » « état d’urgence » « confinement », « Drone », « caméra autorisée sans contrôle », « interdictions de filmer la police », les ingrédients sont réunis pour faire basculer la France dans un régime de contrôle et de contrainte et non de liberté, sans garantir la sécurité ! Au-delà des craintes pour les libertés publiques, l’alourdissement de l’arsenal juridique n’a jamais renforcé l’efficacité de la police. La Gauche Républicaine et Socialiste rappelle son opposition farouche à la loi « Sécurité Globale » (nos deux parlementaires – Marie-Noëlle Lienemann et Caroline Fiat ont d’ailleurs signé la saisine du Conseil Constitutionnel sur ce texte). Nous demandons la tenue d’états généraux de la sécurité où seront redéfinis la doctrine d’encadrement des manifestations et de l’ordre public, les moyens nécessaires accordés à la police et son intégration à un projet de société en lien avec la population. Ces états généraux devront déboucher sur une loi de programmation pluriannuelle pour la sécurité intérieure quiprévoira la montée en puissance des moyens humains, matériels, techniques des forces de l’ordre, de renseignement intérieur et de la justice ainsi que leurs missions prioritaires et le déploiement territorial.

Dans cette opération de communication commencée dimanche dernier, le locataire de l’Élysée n’a pas eu un mot pour la Justice et les moyens dont elle manque cruellement et que l’agitation du Garde des Sceaux ne peut (pas plus que du temps de ses prédécesseurs) masquer. Là encore, le gouvernement Macron-Castex reprend les recettes éculées des conservateurs en annonçant la création mardi 20 avril de 15 000 places supplémentaires de prison… sans se soucier le moins du monde des raisons pour lesquelles celles-ci sont combles, sans rien changer à l’indignité des conditions de vie dans les maisons d’arrêts et sans aucune réflexion sur un système qui, plutôt que réhabiliter les détenus, fabrique des récidivistes souvent plus dangereux à l’issue de leur peine qu’ils ne l’étaient avant…

Stupéfiant contre-sens !

Emmanuel Macron semble avoir bénéficié sur la question des drogues d’une illumination soudaine : « La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères ». On espère que le Président ne découvre pas la situation !? « Ceux qui prennent de la drogue doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et, à la fin, on alimente la plus importante des sources d’insécurité… ». Il ajoute que « 70 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre. […] Ça veut dire quelque chose de clair : si vous vous faites prendre comme consommateur, vous savez que vous allez devoir payer et que vous n’allez pas y échapper. Ça change le rapport de force. » Il affirme également se fixer comme objectif d’éradiquer le trafic « par tous les moyens, [c’est] devenu la mère des batailles, puisque la drogue innerve certains réseaux séparatistes mais aussi la délinquance du quotidien, y compris dans les petites villes épargnées jusqu’ici. Ne laisser aucun répit aux trafiquants de drogue, c’est faire reculer la délinquance partout ». On n’est pas loin de l’unité de pensée entre un Didier Lallement, qui accusait une partie des Français d’être responsables des morts du COVID, et un Emmanuel Macron qui dénonce une autre partie comme des complices objectifs des terroristes. On imagine l’efficacité de ce type de déclarations…

Cette façon de présenter les choses est en réalité parfaitement inefficace et contre-productif. La lutte contre le trafic de cannabis mobilise des effectifs importants de policiers et de gendarmes pour des résultats contestables. Elle est selon les études la raison principale des contrôles au faciès (ce qui rappelle au demeurant que les préjugés existent malgré les dénégations du président de la République). En effet, les contrôles inopinés d’identité sont justifiés par la hiérarchie policière essentiellement pour détecter des détenteurs de haschisch. Non seulement ce type de contrôles ne débouche que sur l’écume du trafic réel mais provoque rancœur et frustration chez ceux de nos concitoyens qui subissent ce qu’ils vivent souvent à juste titre comme une forme de harcèlement. Les forces de l’ordre se trouvent mobilisées pour des opérations à l’efficacité douteuse et qui ternissent leur image auprès d’une partie de la population, dont ils ont déjà du mal à obtenir une confiance pourtant indispensable. Ainsi il serait légitime d’examiner de manière plus appuyée les arguments qui ont poussé de nombreux parlementaires – et notamment Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur – à défendre la dépénalisation de la consommation du cannabis et la réglementation de son commerce : outre qu’il libérerait des effectifs de policiers qui pourraient être affectés à des tâches bien plus utiles pour nos concitoyens et à leur contact quotidien (tout en supprimant une source de friction et des zones grises dans les contrôles d’identité au regard de nos principes républicains), la vente réglementée de cannabis telle qu’elle a été mise en place dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord (sans qu’il y ait d’explosion de la consommation) pourrait sous contrôle de l’État devenir une source de recettes pour les pouvoirs publics (comme le tabac) et tarir les recettes de nombreux réseaux criminels et terroristes, contribuant ainsi à la tranquillité publique. Ainsi en affichant un raidissement intransigeant sur le cannabis, Emmanuel Macron énonce un contresens stupéfiant !

Enfin pour Emmanuel Macron, « dire que le haschisch est innocent est plus qu’un mensonge » : « Sur le plan cognitif, les effets sont désastreux. Combien de jeunes, parce qu’ils commencent à fumer au collège, sortent totalement du système scolaire et gâchent leurs chances ? Et je ne parle même pas des effets de glissement vers des drogues plus dures. » Cette toute dernière affirmation n’a aucun fondement scientifique, mais on peut s’attendre à ce que le candidat Macron la répète ad nauseam pour garantir à son propos de l’efficacité. Les effets de la consommation de cannabis n’ont jamais élevé la raison, personne ne dira le le contraire. Ce serait par contre une erreur dramatique de considérer sa consommation excessive – à tous les âges – comme un objet de sécurité et de répression plutôt que comme une priorité de santé publique. Que dire des effets de l’alcool et du tabac qui en vente libre provoquent lorsqu’ils sont consommés à l’excès des dégâts psychologiques, sanitaires et morbides massifs ! Pourtant ici la morale ne se mêle pas du commerce. Les expériences de prohibition ont toujours été des échecs funestes. La vente du tabac est réglementée bien que le produit soit mortel, elle rapporte des recettes importantes à l’État ; la vente d’alcool non seulement continue de faire l’objet de campagnes publicitaires mais le produit en lui-même sous ces diverses formes est présenté comme un élément constitutif de notre mode de vie. Chacun examinera en conscience la contradiction. En réalité, le fait de considérer les consommateurs de drogue, les toxicomanes, comme des délinquants handicape concrètement les opérations de prévention mise en œuvre par tous les organes de santé publique et les associations. Il est nécessaire et urgent de renverser le point de vue des pouvoirs publics sur ce dossier.

Personne ne niera que la violence a progressé dans la société française et que celle qui vise les dépositaires de l’autorité publique, les agents publics en général, a connu une augmentation plus inquiétante encore. Mais sans retomber dans l’excuse sociale de la violence – les faits d’agression contre des policiers ou les attaques de commissariats ne sont pas excusables, leurs auteurs doivent être appréhendés et condamnés –, cette évolution est également corrélée à la progression des inégalités sociales et dans l’accès aux services publics. C’est une situation qui n’est d’ailleurs pas réservée aux seuls quartiers populaires. Ainsi considérer que la restauration d’une plus grande tranquillité publique ne passera que par une logique répressive est une erreur. Nous sommes favorables à ce que l’État fasse un effort de recrutement pour la police nationale et la gendarmerie, encore convient-il comme nous l’avons dit plus haut de veiller à leur formation, à une répartition territoriale répondant aux besoins réels du pays et aux missions précises qu’on assigne à nos forces de l’ordre : nos concitoyens ont besoin de policiers et de gendarmes de proximité qui connaissent les habitants, pas de CRS ou de gendarmes mobiles supplémentaires. D’autre part, comme nous l’avons indiqué plus haut, il serait illusoire d’en rester là… évidemment la question de la justice et de la réponse carcérale (et des alternatives à la prison) ont été trop longtemps négligées et traitées par des opérations « coups de mentons », mais nos concitoyens ont besoin de retrouver confiance dans la promesse sociale et émancipatrice de la République ce qui passe obligatoirement par un New Deal des services publics sur l’école, le logement et la mixité sociale, l’accès au services publics en général, sur la formation, les transports et par une politique volontariste de l’emploi et sur les salaires afin de résorber ghettos sociaux et poches de pauvreté.

Football : un sport dans lequel à la fin les riches gagnent ?

Depuis les années 1980 l’UEFA, l’Union des associations européennes de football,
a mis le doigt dans un engrenage dangereux, cédant par étapes aux clubs les plus riches du football qui voulaient toujours plus de bénéfices, de droits télé, et qui souhaitaient rester dans un entre-soi, écartant le plus possible l’incertitude du sport. Être battu par un plus petit et un plus pauvre que soi ? C’était un « risque industriel » que les nouveaux riches investisseurs du football voulaient de moins en moins prendre.
Dans les années 1980 la coupe des clubs champions était une compétition ouverte qui voyait s’affronter les champions (et uniquement les champions) de chaque pays européen. Ainsi, le champion d’Angleterre ou d’Espagne concourait à égalité avec celui de Belgique ou du Danemark. La création de la ligue des champions dans les années 1990 a déjà mis à mal ce principe d’équité sportive . Dorénavant, en Angleterre ou en Espagne sont qualifiés directement pour la phase de groupes de la ligue des champions non seulement les clubs qui ont gagné le titre de dans leur pays mais encore les équipes classées deuxième, troisième ou même quatrième de leur championnat, tandis que les championnats jugés plus faibles (c’est à dire plus pauvres) doivent se contenter d’un seul qualifié qui doit encore passer par un ou deux tours préliminaires avant d’accéder éventuellement à la phase de groupes, plus médiatisée et surtout plus lucrative.
Les clubs et les pays les plus riches furent donc déjà avantagés. Le fameux arrêt Bosman, décision de la Cour de justice des Communautés européennes rendue en 1995, n’a fait qu’aggraver la chose, mettant fin à la restriction de trois joueurs étrangers maximum dans un même club ressortissants de l’Union européenne . Dorénavant les plus grands clubs avaient le pouvoir de recruter les meilleurs joueurs, issus de clubs moins riches, sans limites, et n’étaient plus obligés de se consacrer à la formation de joueurs locaux.
Mais toutes ces évolutions des années 90 ne suffisaient pas .
La nouvelle réforme de la ligue des champions présentée aujourd’hui par l’UEFA a proposé d’aller encore plus loin dans ce sens.
Cela n’est cependant toujours pas assez pour les présidents de 12 clubs parmi les plus riches (et cupides, n’ayons pas peur des mots) en Europe, à la tête desquels celui du Real Madrid (club surendetté) ou de la Juventus de Turin (Andrea Agnelli, descendant de la puissante famille Agnelli, administrateur par ailleurs de Fiat). Ces derniers passent désormais à la phase finale de leur plan, la création d’une « Super League » européenne fermée, sur le modèle de la NBA américaine, à laquelle on n’accéderait plus en fonction de ses résultats sportifs mais en tant que membre -actionnaire -de la Ligue.
Le projet de Super League de football est un projet de businessmen qui n’aiment ni le foot ni le sport . Il tuerait le football européen qui deviendrait définitivement un club fermé de riches, faisant disparaître toute idée de mérite sportif, de compétition, toute incertitude, toute idée de plaisir devant l’exploit de David contre Goliath, toute idée de sport populaire…que des clubs anglais comme Liverpool ou Manchester, fondés par des ouvriers, clubs du peuple à l’origine , se prêtent à cela est à pleurer…
il est heureux que de nombreuses voix, tant de responsables politiques que de joueurs ou de personnalités du monde du football s’élèvent contre ce projet fou et rappellent ce qui devrait rester au cœur des préoccupations : les valeurs sportives et non l’argent.

Le « Manifeste des 343 » a 50 ans : Poursuivons le combat pour que le droit à l’avortement soit effectif pour toutes et partout !

déclaration du pôle féminisme de la Gauche Républicaine et Socialiste

1- Un peu d’histoire, le combat des féministes et de la gauche

Le 5 Avril 1971, Le nouvel observateur publie l’appel des 343, signé par des personnalités, femmes qui déclarent : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France.

Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.

On fait le silence sur ces millions de femmes.

Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.

De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Les militantes du MLF ajoutent libre et gratuit !

C’est aussi le moment où se développe l’action du Planning familial en matière de d’information, de conseil, d’accès à la contraception et d’accompagnement en particulier des jeunes filles. Et c’est bien sûr essentiel.

En tout cas, C’est le début d’un grand mouvement de mobilisation dans le pays.

On connait la suite :

  • 1972 : le procès de Bobigny avec Gisèle Halimi ;
  • 1975 : la loi Veil qui n’est votée par l’Assemblée qu’avec le vote de la gauche ;
  • 1982 : la loi Roudy pour le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale ;
  • 2015 : la gratuité de l’IVG.

Toutes ces avancées ont été votées et permises par la gauche au pouvoir. Et bien sûr par le combat culturel et politique, engagé par les féministes.

2- le combat continue car dans les faits de réels problèmes demeurent pour garantir effectivement ce droit à toutes et partout.

Il faut exiger un maillage sérieux des structures où se pratique l’IVG dans tous nos territoires. Ils sont trop nombreux où il n’est pas aisé – voire possible – de trouver des centres ou hôpitaux pour faire réaliser une IVG. Entre le libre choix des médecins, les arbitrages budgétaires des hôpitaux et cliniques et l’arrêt d’une politique volontariste de financement des centres d’orthogénie, beaucoup de femmes ont les plus grandes difficultés et mettent beaucoup de temps à trouver une structure pour avorter. Certaines sont d’ailleurs prises dans le piège des délais. Les plus riches partent à l’étranger, les autres subissent une grossesse non souhaitée !

En parallèle, il faut rallonger le délai de grossesse pour avoir le droit de pratiquer une IVG : il est de 12 semaines en France. Mais il est de 24 semaines au Royaume-Uni, de 22 aux Pays-Bas, de 18 en Suède, de 14 en Espagne et en Autriche. Nous avons à plusieurs reprises tenté par voie d’amendements parlementaires d’allonger les délais de 12 à 14 semaines. En vain ! ni le gouvernement, ni les majorités à l’Assemblée ou au Sénat n’ont accepté !

La situation demeure dramatique pour de trop nombreuses femmes.

Ces combats sont ceux qu’il faut gagner aujourd’hui.

3- Solidarité avec les femmes du monde entier où ce droit n’est pas acquis ou même il est remis en cause par les courants néoconservateurs.

Dans certains pays la situation évolue positivement comme en Irlande avec le référendum de 2018 qui autorise l’IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse, ou en Argentine où l’avortement vient d’être légalisé (14 semaines de grossesse). La mobilisation a été déterminante. Mais dans d’autres pays, au sein même de l’UE, la situation se dégrade… comme en Pologne où le Tribunal constitutionnel a rendu, par un arrêt du 22 octobre 2020, l’avortement quasi illégal en Pologne. Sans parler de l’influence de Trump qui a conforte les lobbies anti-avortement et nommé des juges qui y sont défavorables à la Cour suprême. Ne négligeons pas les offensives des religieux ultra dans le monde.

Ce combat de libération des femmes est une grande cause universelle où nous devons prendre toute notre part.

Il y aura de nombreuses initiatives militantes et féministes pour poursuivre le combat des signataires du manifeste des 343. La GRS, ses militantes et ses militants y prendront toute leur part.

Si dans votre département, votre ville, vous avez connaissance de difficultés d’accès à l’IVG. Adressez nous un message pour expliquer la situation et exiger des solutions. Notre engagement est aussi pour trouver des réponses concrètes aux difficultés des femmes et de nos concitoyens-concitoyennes.

La GRS est présente dans ce combat et signe par les plumes de Marie-Noëlle Lienemann et Caroline Fiat cette tribune publiée dans les colonnes du JDD .

Emmanuel Maurel : “Aujourd’hui, pour être entendu, il faut surjouer l’indignation”

L’Express – entretien recueilli par Paul Chaulet,
publié le 03/04/2021 à 10:30

L’eurodéputé déplore la dégradation du débat public, illustré par une série de polémiques identitaires. Et appelle la gauche à renouer avec l’universalisme républicain.

Affaire de la mosquée de Strasbourg, polémiques autour des réunions non-mixtes… En pleine crise sanitaire, les sujets identitaires ont envahi le débat public ces dernières semaines. La polémique autour d’Audrey Pulvar a ainsi illustré les fractures au sein de la gauche sur la laïcité ou les discriminations. Dans un entretien à Libération publié dimanche, Jean-Luc Mélenchon dénonçait le manque de soutien des socialistes pour leur tête de liste aux régionales en Île-de-France.

Député européen (élu sur la liste LFI) et fondateur de la “Gauche républicaine et socialiste”, Emmanuel Maurel est réputé pour ses convictions laïques et son attachement à la tradition universaliste. Dans un entretien à L’Express, il déplore la dégradation du débat public sur ces thématiques. “On est sommés de choisir son camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. L’ancien socialiste appelle la gauche à mettre l’accent sur les questions économiques et sociales, afin de reconquérir les classes populaires.

L’Express : Les propos d’Audrey Pulvar sur les réunions non-mixtes ont déclenché une vaste polémique. Vous avez évoqué dans Le Figaro une “déchéance de rationalité” du débat public. Débattre autour des sujets dits “républicains” ou “identitaires” est devenu impossible ?

Emmanuel Maurel : Cette déchéance de rationalité ne se limite pas à la gauche, elle est généralisée. Tout le monde est à cran en ce moment, en raison de cette crise interminable. Mais on observe une mutation profonde impulsée en partie par l’éclosion des chaînes de télévision en continu et des réseaux sociaux. Dans le débat public, il faut toujours avoir quelque chose à dire, le dire vite et privilégier le clash pour être repris. Les plus belles intelligences se sentent obligées d’en rajouter en termes de véhémence et de caricature pour être entendues.

C’est une “tweeterisation” de la vie politique. Il faut surjouer l’indignation pour attirer l’attention et vitupérer pour être écouté. À cela s’ajoute l’importation d’un phénomène nord-américain : tout le monde est tour à tour offenseur et offensé. On en arrive à une situation pénible où notre débat public donne l’impression de se résumer à une confrontation entre Eric Zemmour et Camélia Jordana. Ce n’est évidemment pas le cas dans le fond. Il faut rétablir un débat rationnel et respectueux.

Pourquoi cette crispation du débat public est-elle spécifiquement aiguë sur ces sujets identitaires ?

Nos sociétés sont taraudées par l’angoisse du déclin, leurs repères traditionnels sont brouillés. Elles sont en outre percutées par le néolibéralisme, qui a fait voler en éclat les solidarités collectives. C’est dans ce genre de situation que la passion identitaire refait surface. On se rattache à une identité souvent fantasmée, car il est terrifiant d’être laissé seul dans ce que Marx appelait les “eaux glacées du calcul égoïste” : la solitude de l’individu plongé dans le grand bain libéral.

Vous revendiquez une approche “rationnelle” sur ces thématiques. Vous ressentez une difficulté à vous faire entendre ?

Évidemment. Comme l’écrit le chercheur Christian Salmon, nous sommes passés de l’ère du storytelling à l’ère du clash. Il faut exacerber les tensions et adopter une pensée caricaturale pour l’emporter. Eric Zemmour incarne malheureusement cette époque : il a des avis tranchés et péremptoires sur tous les sujets, quitte à dire tantôt des horreurs, tantôt n’importe quoi, sans être contredit. Or, j’estime – même si les faits ne me donnent pas forcément raison – que la confrontation démocratique implique humilité, respect et attention aux arguments des autres.

Vous connaissez bien Jean-Luc Mélenchon. Quand il accuse le premier secrétaire du PS Olivier Faure de se faire le “relais des inquisitions de l’extrême droite”, ne participe-t-il pas à ce phénomène ?

Je rappelle le contexte : certains à droite demandaient la dissolution de l’UNEF, les esprits se sont échauffés, les tweets ont fusé. On a le devoir de combattre cette position scandaleuse de la droite et de l’extrême droite mais on a le droit d’exprimer des critiques fortes sur les dérives de ce syndicat étudiant.

Les accusations de complicité avec l’extrême droite ou d’islamo-gauchisme irriguent le débat public. Le soupçon, plus que le désir de convaincre, semble s’emparer de la discussion publique…

Les débats sur l’Unef ou Audrey Pulvar l’ont montré : nous sommes sommés de choisir notre camp sur tous les sujets, sous peine d’être mis en accusation. Au final, il n’y a plus que les “complices des islamistes” et “les complices de l’extrême droite”. C’est évidemment faux et contre-productif : les vrais islamistes et les vrais fascistes peuvent prospérer tranquillement, car les mots perdent leur sens. Évidemment que Jean-Luc Mélenchon n’est pas complice de l’islamisme et qu’Olivier Faure n’est pas complice de l’extrême droite.

Dans cette période angoissante et incertaine, il faut un retour de la rationalité en politique. Cela n’est pas synonyme de fadeur ou de centrisme. La nuance a sa grandeur. Et cela n’empêche pas de répondre aux vrais problèmes, par exemple, dans le cas d’espèce, de la persistance des discriminations et du racisme qui défigurent notre nation.

Le terme d’islamo-gauchisme recouvre-t-il une réalité selon vous ?

Cette expression en dit plus sur ceux qui l’utilisent pour conspuer leurs adversaires que sur ceux qui sont censés l’être. Ce n’est pas un hasard si Madame Vidal l’a balancée alors que des milliers d’étudiants font la queue devant les centres de distribution alimentaire.

Si l’on veut vraiment s’attarder sur ce thème, il renvoie à un moment particulier de l’histoire de l’extrême gauche. Une toute petite partie de l’extrême gauche estimait que les musulmans étaient un facteur révolutionnaire car opprimés. Mais de nos jours, c’est devenu un mot-valise pour discréditer, comme le terme “populiste”. Le terme est tellement péremptoire et définitif qu’il empêche toute discussion.

Les débats les plus clivants au sein de la gauche ne portent pas sur la politique économique ou la question sociale, mais sur ces sujets républicains. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut rappeler une chose : le pouvoir a une responsabilité immense dans l’abaissement du débat public. Emmanuel Macron a prononcé en 2018 un discours plus qu’ambigu sur la religion au collège des Bernardins ; et avait parlé des “mâles blancs” lors de la présentation du plan banlieue. Il a contribué à cette “essentialisation” du débat public et a installé un agenda qui n’est pas le nôtre .

Quant à la gauche, elle s’est retrouvée acculée après le désastre du quinquennat de Hollande. Cette perte de repères se traduit assez bizarrement par la focalisation sur ce qu’on appelait autrefois des “contradictions secondaires”, au détriment des sujets qui intéressent le plus grand nombre. Je trouve lunaire que l’on parle pendant deux semaines des réunions non-mixtes, même si je n’en pense pas du bien. Cela ne mérite pas autant de polémiques. Évidemment, la droite et l’extrême droite se frottent les mains.

Personne ne me parle de l’Unef, de l’écriture inclusive ou des réunions non mixtes dans ce contexte de crise sanitaire. Les gens parlent de l’éducation, du système de santé ou du chômage. La gauche doit rester maîtresse de ses combats, et en revenir aux questions essentielles qui intéressent la majorité de nos compatriotes, ceux qui travaillent, ceux qui sont exposés à la précarité et dont les espérances sont assombries par la crise du capitalisme.

La gauche prend un risque politique à s’enliser dans ces polémiques ?

Oui. La coupure de la gauche avec le peuple a commencé avec l’exercice du pouvoir. Jusqu’à la fin du XXe siècle, les socialistes et leurs partenaires avaient réussi l’alliance entre les classes populaires et les classes moyennes. Comme elle a perdu les classes populaires à force de renoncements économiques, la gauche réduit trop souvent sa pensée à des éléments de langage s’adressant surtout aux classes moyennes intégrées. Elle risque de s’éloigner encore davantage du plus grand nombre.

Dire cela ne m’empêche pas de penser qu’il n’y a pas de sursaut possible pour la gauche si elle ne renoue pas avec l’universalisme républicain. C’était la clé du succès de Mélenchon en 2017 : un humanisme généreux et un universalisme assumé…

Il s’en éloigne?

A mon avis, il ne doit pas s’en éloigner.

A treize mois de l’élection présidentielle, la gauche part en ordre dispersé. Son éclatement est inévitable ?

Rien n’est inéluctable. Il y a un refus net de l’électorat de gauche de rejouer le duel Macron-Le Pen en 2022. Il y a la crainte légitime de l’extrême droite, que le pouvoir a nourrie par sa politique et avec laquelle il rêve de se retrouver au deuxième tour. Il y a une aspiration unitaire dans notre électorat. Les gens ne disent pas que la recherche de l’unité est une condition suffisante mais qu’elle est une condition nécessaire.

Enfin, on a tout intérêt à reparler des questions économiques, sociales et de la bifurcation écologique : je suis persuadé que l’on peut trouver des points d’entente entre nous sur ces sujets. La sortie de crise et le redressement d’un pays durement éprouvé, c’est l’enjeu essentiel pour 2022. Il faut se mettre autour de la table pour identifier nos convergences programmatiques.

Yannick Jadot se dit prêt à s’entretenir avec “tous les leaders de la gauche” afin d’aboutir à une candidature “unie” pour la présidentielle de 2022. Que pensez-vous de cette initiative, à laquelle vous êtes conviée ?

Comme toutes les initiatives unitaires, elle est bienvenue. On doit se désintoxiquer des institutions de la Ve République. Notre code génétique, c’est la délibération collective. C’est une question de méthode : nous devons nous accorder sur un programme d’intérêt général, les questions de personnes viendront après. Les dernières élections ont montré que l’imprévu et l’inattendu font partie du temps politique.

Au-delà de ses divisions, les sondages montrent la faiblesse du bloc de gauche pour 2022. Comment l’expliquez-vous ?

Ce reflux est historique et ne concerne pas que la France. Le début du siècle a été marqué par un fort recul de la social-démocratie, incapable de résister à la mondialisation financière. L’émergence d’une gauche plus radicale et la percée des écologistes ne sont pas parvenues à contenir le populisme de droite qui récupère des électeurs des classes populaires. Notre objectif doit être de renouer avec les ouvriers et les employés qui nous ont tourné le dos. Pour y parvenir, on doit parler de ce qui intéresse vraiment les gens : emploi, santé, éducation, sécurité, préservation de l’environnement. Ce n’est pas toujours le cas.

Marie-Noëlle Lienemann : « Vous ne me ferez pas dire du mal de tout le monde… » – entretien au Point, 3 avril 2021

ENTRETIEN. La sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann estime qu’il y a, dans le pays, une envie de gauche. Et milite pour une candidature unique en 2022.

Propos recueillis par Florent Barraco et Jacques Paugam – Le PointPublié le 03/04/2021 à 08h00

Si le socialisme était un héritage, Marie-Noëlle Lienemann en serait la gardienne zélée. Droite comme la justice, qu’elle aimerait sociale, sévère au demeurant, ne laissant passer aucun reniement ou renoncement, l’élue socialiste n’a jamais souffert les virages idéologiques. Au point de quitter le PS, son parti de cœur, en 2018, après l’effondrement de la gauche, trahie, selon elle, par les sociaux-libéraux, de Manuel Valls à François Hollande.
Convaincue que les Français ont une envie de gauche et attendent des propositions pour lutter contre les inégalités, la sénatrice de Paris, secrétaire d’État au logement sous Lionel Jospin, fixe néanmoins le cap à près d’un an de l’élection présidentielle. Si elle veut espérer l’emporter en 2022, la gauche doit se retrouver elle-même, les ambitions suivront. Une gauche sociale, planificatrice, affranchie de la dette et, si possible, farouchement anti-Macron.

Le Point : Dans quel état se trouve la gauche : en état de mort cérébrale ? Dans le coma ? Ou en rémission ?

Marie-Noëlle Lienemann : En rémission. Je ne pense pas que la gauche doit disparaître dans ce pays, parce que les idéaux de gauche, notamment l’égalité sociale ou plus de justice, sont extrêmement forts. Mais il y a en effet une crise politique. Cette crise est idéologique, car une partie de la gauche qui a gouverné a été au mieux une gauche sociale-démocrate ou trop souvent néolibérale. Ensuite, il y a l’obstacle de la division à surmonter. Nous devons également réfléchir au centre de gravité politico-idéologique. Et il y a la chute de l’adhésion des classes populaires aux partis politiques de gauche. Nous devons concurrencer le Rassemblement national et ne pas faire comme si c’était une évidence que cet électorat est acquis à Marine Le Pen. Ces défis ne sont pas tous à mener dans la même temporalité : la reconquête des classes ouvrières sera plus longue car « chat échaudé craint l’eau froide » et la tentation nationaliste et identitaire peut les attirer ; l’unité des forces de gauche peut aller plus vite.

Comment se traduirait cette unité ?

Je ne la crois possible qu’autour d’un programme avec des propositions précises. Si tout le monde signe cet accord, tout le monde se tient par la barbichette et personne ne peut revenir sur des propositions fondamentales. Je ne crois pas au principe des deux gauches irréconciliables. Il y a toujours eu dans l’histoire de la gauche française deux tendances avec des affrontements sérieux, mais à la fin tout le monde finit par se réunir. La France va sortir de cette crise dans un état terrible. Les Français ont une idée de pourquoi on a été si vulnérables, notamment sur le vaccin, qu’on n’a pas été capables de produire. Il y a des leçons tirées et la gauche doit se positionner sur ces sujets.

Tous ceux qui étaient plutôt macronistes, qui disaient « pourquoi pas », ont été vaccinés, si je puis dire…

Si cette unité n’a pas eu lieu en 2017 où Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon étaient d’accord sur l’essentiel, pourquoi serait-ce le cas en 2022 ?


En 2017, on était dans le bilan de François Hollande. Bien que critique, Benoît Hamon avait été dans le gouvernement Hollande et, par ailleurs, l’électorat socialiste était en colère, mais pas en décrochage total. La situation était ubuesque avec un président sortant qui n’assume pas son bilan et une gauche socialiste complètement désarçonnée et éclatée. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Le bilan d’Emmanuel Macron a levé pas mal d’ambiguïtés et clarifié la position de beaucoup de personnes au Parti socialiste : tous ceux qui étaient plutôt macronistes, qui disaient « pourquoi pas », ont été vaccinés, si je puis dire… La crise elle-même a mis en évidence toute une série d’errements que la gauche au pouvoir avait accompagnés ou mis en œuvre. Quelle va être l’alternative offerte aux Français pour engager cette phase de reconstruction d’une République sociale ? Nous avons le devoir de proposer une alternative crédible. Mais ce n’est pas parce qu’on a le devoir que tout le monde a le sens du devoir… On sent que ça pousse.

Aucune personnalité ne peut se dégager dans le clapotis de la division et de la guerre d’ego.

Vous parlez d’une République sociale. Xavier Bertrand, qui s’est déclaré candidat à la présidentielle dans nos colonnes, se revendique comme gaulliste social. Il existe une offre à droite…

C’est comme Chirac sur la fracture sociale : verbalement ils sont toujours très bien, mais après ils vous disent « il faut rétablir les comptes », « il y a trop d’assistés »… On connaît leur discours. Le seul avantage de Xavier Bertrand par rapport à pas mal de ses camarades de droite, c’est que lorsqu’on est président de la région des Hauts-de-France, on ne peut pas se permettre de croire que le libre marché généralisé va permettre de résoudre les problèmes sociaux…

Pour en revenir à l’unité : qui peut porter cette candidature commune ?

C’est en permanence cette question que l’on pose. Au lieu de commencer par cette équation, dont on sait qu’elle est la plus dure à résoudre, commençons par ce qui est faisable et attendu : les propositions ! Il y a certes la grande mythologie de la Ve République, de la rencontre d’un homme avec les Français, mais je n’en suis plus certaine. Ils ont d’abord besoin de repères clairs sur les décisions relativement rapides qu’on est capable de prendre pour inverser la spirale du déclin, d’inégalité et doute républicain dans laquelle notre pays est plongé. Tout en répondant à l’exigence écologique. Si déjà sur ces quatre sujets, on met en œuvre un programme d’intérêt général pour la France, commun à toutes les forces de la gauche, la confiance remontera. Aucune personnalité ne peut se dégager dans le clapotis de la division et de la guerre d’ego. Ce sont des jeux qui nous isolent.

Cela ressemble à un vœu pieux…

Je sais, mais vous pouvez me dire tout ce que vous voulez, je ne vois pas comment on dénoue la situation. Elle n’est pas bonne. Personne n’a de solution à part dire « ralliez-vous à moi ». C’est une forme d’impasse. Le vote utile à gauche ne marchera que s’il y a l’idée qu’on peut porter quelque chose d’autre. Les Verts, Mélenchon et le PS peuvent se mettre d’accord sur un programme, ne serait-ce que pour avoir une majorité législative.

Dans un sondage publié par Marianne il y a quelques semaines, le bloc de gauche peine à atteindre les 30 %. Y a-t-il vraiment une envie de gauche en France ?

Les attentes qui s’expriment sont de gauche, et la crise sanitaire l’a montré. Il n’y a, pour l’instant, pas de réponse politique structurée pour mettre la gauche au pouvoir. Voilà le décalage. Les idées de gauche, quelles sont-elles ? Un besoin d’égalité, davantage de moyens pour les services politiques, une planification du redressement industriel, l’engagement de la transition écologique en demandant aux plus forts de faire les efforts, une justice fiscale, l’allocation d’autonomie pour les jeunes, un meilleur partage du pouvoir, etc.

Tout est fait par Emmanuel Macron et le Rassemblement national pour éluder la question économico-sociale.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une autre aspiration, plus à droite et majoritaire au vu des sondages, pour davantage de sécurité, d’autorité, des mesures contre l’islamisme et un contrôle de l’immigration qui écrase les aspirations sociales ?

C’est la tentation de la droite. Vous savez, dans une élection, ce qui est important, c’est le pied d’appel, l’axe dominant de la campagne. Quand, en 1995, Jacques Chirac fait campagne sur la fracture sociale, il a choisi de ne pas s’enfermer dans le débat sur la sécurité. La sécurité et l’immigration, c’est le pied d’appel de la droite, mais dans les sondages, les Français vous expliquent qu’ils sont inquiets pour leur pouvoir d’achat et leur emploi. Si la gauche ne fait pas de ces thèmes-là le cœur de son programme avec des propositions concrètes, elle ne pourra pas gagner. Les Verts ont fait de très bons scores car le sujet qui a été dominant, et qu’ils ont su porter lors des européennes et des municipales, c’était le climat. Tout est fait par Emmanuel Macron et le Rassemblement national pour éluder la question économico-sociale. D’ailleurs, quand je vois les résultats de la droite sur la sécurité, ils ne sont pas plus mirobolants que ceux de la gauche. C’est la droite qui n’a pas embauché de policiers…

Que dites-vous aux jeunes, qui sont, selon les enquêtes, de plus en plus nombreux à ne pas vouloir voter Emmanuel Macron s’il y a un deuxième tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?

Je pense qu’on ne peut pas donner aujourd’hui un blanc-seing à Emmanuel Macron. Il faut bien sûr tout faire pour éviter d’avoir Marine Le Pen à l’Élysée, mais ça commence à bien faire ! Je commence à en avoir marre qu’on me pose la question du deuxième tour avant d’avoir joué le premier. Et du coup, cette question obère le premier vote. Cela a déjà eu lieu en 2017… On a vu ce que cela donne… De plus, comme en 2002, où Jacques Chirac n’a pas été à la hauteur de ceux qui ont voté massivement pour lui, Emmanuel Macron n’a pas donné assez de signes à un électorat de gauche qui l’a élu de manière défensive par rapport au RN. Il a fait de l’hyperlibéralisme comme si nous avions tous voté pour sa loi XL antisociale, la réforme des retraites, l’assurance-chômage… Il est élu par des gens qui n’en voulaient pas. Il délégitime la résistance à Marine Le Pen. Bien sûr que je me suis sentie cocufiée.

Macron n’a pas changé d’orientation. Il a ouvert une parenthèse.

Le libéralisme d’Emmanuel Macron en a pris un coup avec le Covid : il a, de son propre aveu, nationalisé les salaires avec le chômage partiel et a ouvert le robinet d’argent public…

Il n’a pas changé de logique. Les libéraux ont toujours considéré que l’État était là pour faire le pompier quand tout allait mal. Vive le marché, mais quand il y a des ratés, on rappelle l’État à la rescousse. C’est un classique. Les gens qui pensent qu’à cause de la crise ils ont changé d’orientation se trompent : ils ont ouvert une parenthèse. Mais dans cette parenthèse, il n’a pas renoncé à ses idéaux libéraux : il n’a pas abandonné la réforme de l’assurance-chômage, ni celle des retraites. À aucun moment il n’a augmenté les salaires des premiers de cordée. Il fait des primes, beaucoup plus fragiles. Ils sont venus au secours du système par des dépenses massives. Tant mieux ! Il a aussi promis de ne pas augmenter les impôts mais, avec la crise qui se profile, Emmanuel Macron essayera de réduire la voilure sur les dépenses et la protection sociale.

Tous les candidats, de Xavier Bertrand à Emmanuel Macron, promettent de ne pas augmenter les impôts…

Nous, nous augmenterons les impôts, mais pour les riches. Je suis pour le retour de l’ISF et je pense aussi qu’il faut réfléchir à la question de la transmission des héritages importants. Il y a une réforme fiscale majeure à prévoir pour ce pays, mais il faut, dans le même temps, innover et réfléchir à taxer autrement pour retrouver des recettes fiscales en France. On peut penser à une imposition des Gafam, à la lutte contre la fraude fiscale, par exemple.

J’en ai clairement ras le bol que nos divisions s’invitent sur ce terrain de l’identité.

Sur l’endettement, quelle serait la position d’un ou d’une candidate de la gauche unie ? Marine Le Pen a elle-même endossé l’esprit de responsabilité en déclarant vouloir rembourser la dette.

Ne soyons pas trop dogmatiques, ne nous flagellons pas avec ce sujet de la dette. En réalité, on vous explique partout que si la France arrête de rembourser, le marché ne voudra plus prêter. Mon œil ! C’est faire paniquer les gens pour pas grand-chose. Nous sommes un pays qui a toujours remboursé ses dettes, même de façon indirecte, parce que vous les reportez, parce qu’une certaine inflation finit par en diminuer la charge dans le budget de l’État. La vraie question, c’est comment on ne se laisse pas enfermer dans ce circuit de remboursement permanent, toujours à courir après les intérêts de la dette, à en oublier nos besoins en investissements pour le pays. C’est l’investissement qui doit être notre priorité aujourd’hui. Endettons-nous pour de bonnes raisons ! Pour des projets de réindustrialisation, de transition écologique, de filières locales. Ce ne sera jamais du gaspillage ni du déficit.

Aujourd’hui, la fracture à gauche n’est plus simplement sociale, mais identitaire, avec ce qu’on appelle la « cancel culture », la « génération woke »… C’est la nouvelle lutte finale ?

J’en ai clairement ras le bol que nos divisions s’invitent sur ce terrain de l’identité et c’est bien pour ça que je vous parle autant de social. Soyons clairs : les expériences de la gauche américaine qui fédère les minorités, au motif qu’elles sont minoritaires, et qui espère que cette somme des opprimés finira par faire une majorité, n’ont jamais fonctionné. Ces démarches isolent, enferment les gens et ne correspondent pas à notre modèle républicain. Je dis à la gauche sur ces sujets : attention, danger ! Ça n’est pas la bonne méthode. Nous devons porter un projet d’intérêt général pour les plus défavorisés et au service du pays parce que la gauche a vocation à gouverner pour tous. Nous devons enfin porter haut l’idéal républicain. Qu’est-ce qui mine les valeurs républicaines, la République ? Ce sont les inégalités. La vraie question, elle est sociale. Au lieu d’avoir des débats théoriques sur l’intersectionnalité, réfléchissons vraiment à la lutte contre les discriminations du quotidien.

Mélenchon, les Verts…, la nouvelle gauche est particulièrement active sur ces sujets de société. La sortie récente d’Audrey Pulvar sur les réunions non mixtes a défrayé la chronique. Peut-on parler d’un conflit de générations à gauche ?

La domination anglo-saxonne a pesé dans la culture générale des jeunes générations mais, vous savez, à mon époque, les mêmes qui étaient des libertaires enflammés se sont vite calmés. Ils sont devenus des libéraux forcenés ou des autoritaristes plein pot. Je ne dis pas que la jeunesse a tort, mais il faut veiller à ne pas devenir péremptoire. La seule philosophie qui vaille, c’est l’action. Contre les discriminations, il doit être possible d’agir en fédérant tous les républicains de gauche. Comment évite-t-on que la police ne fasse des contrôles au faciès ? Comment évite-t-on la discrimination à l’embauche ? Concrètement, que fait-on ?

Vous l’avez dit à Manuel Valls, qui sort un livre, Pas une goutte de sang français, aux éditions Grasset ?

Je n’ai rien à dire à Manuel Valls qui a déserté la gauche et la France.

Et à Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon, ces ténors d’une gauche, pour l’instant, très plurielle ?

Je ne passe pas mon temps à dispenser mes conseils aux uns ou aux autres. Vous ne me ferez pas dire du mal de tout le monde. J’ai mes convictions, que je partage volontiers, mais je ne varierai pas d’un iota. On veut toujours porter le fer pour disqualifier l’autre, au détriment des principes. L’urgence, c’est de nous mettre autour de la table pour proposer une vision aux électeurs de gauche !

On nous prend trop pour des enfants.

À quoi ressemblera la campagne de 2022 ? À un grand procès d’Emmanuel Macron ou à une bataille des idées ? Pourra-t-on s’exonérer du contexte sanitaire ?

Les élections ne se jouent jamais sur un bilan, mais sur un horizon. Quel avenir proposer aux Français au sortir de la crise ? Je ne cessais de le dire à Lionel Jospin avant le 21 avril 2002, à qui l’on répétait qu’il avait un bilan excellent. On a vu la suite… Sur les vaccins par exemple, je suis tendance franchouillarde – je viens d’une famille de résistants, je suis née à Belfort – et j’ai une certaine idée de la place que doit occuper mon pays. Quand on voit que l’on est complètement dans les choux sur la vaccination alors que nous étions parmi les meilleurs au monde, que notre système hospitalier est à la peine après des années de coupes budgétaires ! Depuis dix ans que j’interviens sur ces sujets, j’en ai vu des technos nous expliquant que nous n’avions rien compris. Les Français précaires se sentent écrasés et une large majorité, si ce n’est humiliée, au moins mal à l’aise. Sans faire du flamboyant, ils espèrent que la France se redresse, retrouve le goût de l’optimisme, se projette dans un avenir commun. On nous prend trop pour des enfants. C’est celui qui portera le mieux une vision positive et républicaine, à gauche ou à droite, qui aura le plus de chances de gagner. Les gens ont déjà leur avis sur la gestion de la crise sanitaire. Pas besoin d’en rajouter, si j’ose dire. Et puis qu’est-ce que c’est que ces âneries de se comparer en permanence avec les autres pays ?

Vous ne demandez pas d’excuses au gouvernement, comme Angela Merkel ?

Non, j’attends des analyses. Pourquoi n’avons-nous pas fait mieux, comment aurions-nous pu éviter des morts inutiles ? Qu’est-ce qu’il faut changer ? Je suis pour une relation rationnelle à la politique, pas sur-affective. Et puis, c’est mon côté catholique, mais les gens s’excusent souvent de leurs péchés pour mieux recommencer derrière.

3e confinement : l’échec du narcissisme présidentiel

L’intervention du président de la République le soir du mercredi 31 mars 2021 à 20 heures est l’illustration d’un homme prenant ses décisions seul malgré l’échec du pari qu’il avait fait au début de l’année 2021, pari dont on peut se demander si c’était la santé des Français qui en était l’enjeu ou son entrée en campagne présidentielle.

Car il faut bien le constater, c’est bien l’échec des précédentes décisions d’Emmanuel Macron à court, moyen et long termes qui conduit aujourd’hui à généraliser une forme de semi-confinement à tout le pays pour tenter de freiner une troisième vague de l’épidémie que les pouvoirs publics sous la férule de l’Elysée ont laissé filer pour ne pas – aussi longtemps que possible – désavouer la parole macronienne.

Les mesures annoncées hier soir sont prévues pour quatre semaines, mais l’expérience aidant comment les Français pourraient-ils avoir la garantie de cet horizon ?

Alors que l’éducation nationale – après un an de crise sanitaire – n’a toujours pas pu se donner les moyens d’assurer l’enseignement à distance partout et pour tous dans de bonnes conditions, la fermeture des établissements scolaires se traduira évidemment par de nouveaux dégâts chez les élèves et les étudiants. Le gouvernement a nié durant trop de mois que le niveau des contaminations dans les écoles, étant équivalant à celui en population générale, il participait évidemment à la diffusion du COVID ; pourtant jamais les établissements scolaires ne se sont vus dotés des moyens pour appliquer correctement les « protocoles sanitaires renforcés » ; quant aux campagnes de tests salivaires dans ces établissements, elles sont trop peu intenses, trop tardives, et non suivies (une fois un établissement testé on n’y revient plus ?), sans obligation de s’y soumettre pour être efficace. Les victimes de cette légèreté seront d’abord les élèves.

En deuxième, viennent leurs parents car – sauf à considérer que les Français avaient les reins économiques suffisamment solides pour partir en vacances – sans solution pour affronter 4 semaines sans école, le télétravail jouant déjà sans doute au maximum, les salariés risquent de se voir massivement contraint au chômage partiel, avec les dégâts économiques et sociaux qui suivront. Quand les familles ont déjà du mal à s’en sortir avec 100% du salaire, on peut déjà mesurer la détresse qui les guettent avec 80% du salaire. Sans compter les salariés qui perdront leur emploi…

L’intervention d’Emmanuel Macron marque aussi l’échec de la stratégie vaccinale de l’exécutif, sujet qui a été largement éludé hier soir. La seule stratégie de sortie de crise efficace est une campagne de vaccination massive : force est de constater que le gouvernement ne se donne pas les moyens de combler le retard, la pression exercée sur les groupes pharmaceutiques par l’Union européenne et la France étant très faible. Cette faiblesse se double d’un entêtement idéologique à refuser les vaccins russes, cubains, indiens ou chinois.

Enfin, que dire de la promesse de revenir à 10 000 lits de réanimation pour faire face. Alors que les soignants sont épuisés par plus d’un an d’errances diverses du gouvernement face à la crise sanitaire, on se demande si les propos du président de la République ne sont pas une provocation pure et simple ! Depuis un an, le gouvernement et les ARS ont poursuivi une politique de fermeture de lits (y compris en réanimation !). Depuis un an, rien de sérieux n’a été fait pour mobiliser dans la durée les hôpitaux privés aux côtés des hôpitaux publics. Depuis un an, rien de sérieux n’a été fait pour tarir l’hémorragie de personnels soignants qui quittent l’hôpital public démoralisés, découragés et épuisés. Depuis un an, le gouvernement nous explique qu’il ne peut pas former les professionnels compétents nécessaires à l’augmentation des lits de réanimation « en claquant des doigts » ; on en déduit que, dans ces conditions, l’augmentation « en claquant des doigts » du nombre de « lits de réa » se traduira par une dégradation de la prise en charge et de la qualité des soins. Il aurait pourtant été possible en un an de recruter les personnels compétents qui existent dans le pays et de retenir ceux qui continuent de partir en ayant la considération qui convient à leur égard !

Comment enfin considérer qu’avec de tels échecs et de telles annonces, notre démocratie ne serait pas atteinte. Depuis un an, le parlement est écarté des décisions, l’exécutif gouverne par ordonnances et par le truchement d’un état d’urgence sanitaire débarrassé de tout contrôle réel des députés et sénateurs. Le Parlement sera convoqué cet après-midi non pour avoir un débat éclairé, données à l’appui, pour discuter des mesures à prendre et dégager les moyens nécessaires, mais pour être sommé de partager, sous une forme de chantage, la responsabilité des décisions de l’oracle élyséens. Comment imaginer également que dans les semaines qui viennent, on puisse envisager dans des conditions sereines et équitables de conduire des campagnes électorales pour les élections départementales et régionales. Renvoyer à une dématérialisation de la campagne, on le sait, n’apporte aucune garantie d’information des citoyens, c’est empêcher tout émergence d’offre politique alternative à celles « grands partis » qui disposent déjà d’une audience sur les réseaux sociaux ou de financements importants, c’est l’assurance de ne récolter qu’une abstention massive qui atteindra la légitimité des futurs élus.

Emmanuel Macron a failli. Emmanuel Macron a depuis un an décidé seul, écartant le Parlement pour lui préférer l’opaque conseil de défense. Emmanuel Macron a joué avec le bien-être des Français comme on joue au loto. Emmanuel Macron est responsable des dégâts qu’il a causé et il devra en assumer les conséquences le jour de rendre des comptes.

Élections en Israël : plus qu’une crise politique, une crise identitaire

Le 23 mars dernier, les quatrièmes élections depuis deux ans se tenaient en Israël. Benjamin Netanyahou semble avoir manqué son pari d’une campagne conçue comme un référendum sur sa personne.

La multitude de partis communautaires réunissant entre 4 et 7% des suffrages nous contraint à une analyse par bloc électoral, même si ceux-ci sont mouvants et manquent parfois de cohérence.

Le premier bloc, celui de la droite religieuse, est celui de Benjamin Netanyahou. Le Likoud, sa principale composante, obtient 24% des suffrages et 30 députés (sur 120). S’il s’agit d’une performance en demi-teinte, il n’en reste pas moins que le Likoud a dix points d’avance sur le deuxième parti. Les alliés de Benjamin Netanyahou sont d’une part les ultra-orthodoxes de Shas (séfarade) et de Judaïsme Unifié de la Torah, qui obtiennent presque 13% des voix à eux deux et 16 sièges. D’autre part, le Likoud peut compter sur le soutien des partis néo-sionistes Yamina et du Parti sioniste religieux. Ces deux partis, populaires dans les colonies et auprès des jeunes soldats, représentent la branche religieuse du néo-sionisme. Ils obtiennent 11% des suffrages et 13 sièges. Cela porte la coalition de Benjamin Netanyahou à 59 sièges, deux de moins que la majorité.

Un deuxième bloc, celui de la droite laïque, est lui-même fracturé entre sionistes traditionnels et néo-sionistes. Les deux partis néo-sionistes de droite, Israël Beytenou, défendant les intérêts des juifs russophones, et Nouvel Espoir, scission récente du Likoud, tous deux issus de scissions du Likoud, obtiennent 10% des voix et 11 sièges. Le centre-droit laïque, qui avait concurrencé le Likoud aux dernières élections unis dernières le parti Bleu et Blanc de l’ancien général en chef de Tsahal Benny Gantz, était cette fois divisé. Benny Gantz et quelques députés avaient fini par se rallier à Benjamin Netanyahou, provoquant la rupture des puristes anti Likoud du parti Yesh Atid. Ce dernier parvient à 14% des suffrages et 17 sièges, tandis que Benny Gantz obtient 6.5% des voix et 8 sièges. La droite laïque obtient dans son ensemble 38 sièges, 21 de moins que celle de Netanyahou.

La gauche sioniste, unie aux dernières élections, est partie divisée en mars. Le mapaï, parti travailliste fondateur historique d’Israël à l’électorat vieillissant, obtient 6% des voix et 7 sièges. Le Meretz, parti des jeunes urbains progressistes et précaires de Tel-Aviv obtient 4.5% des voix et 6 sièges. La gauche progresse nettement, puisqu’en 2019 la coalition Mapaï-Meretz n’avait obtenu que 5.8% des voix et 7 sièges. Une partie de l’électorat de centre-gauche, séduit par Bleu et Blanc et l’opposition unifiée à Benjamin Netanyahou qu’elle promettait, est revenue au Mapaï. La gauche reste néanmoins dans un état moribond, alors que la crise du logement en Israël dure depuis quinze ans. Aucun mouvement social et populaire n’a pu être structuré par la gauche, qui focalise son discours sur le progressisme et la lutte contre les extrémistes religieux et néo-sionistes. Au total, la gauche obtient 13 sièges.

Enfin, les partis arabes sont eux aussi partis divisés alors qu’ils étaient unis aux dernières élections. La gauche nationaliste arabe obtient 4.8% des voix et 6 sièges, tandis que les islamistes obtiennent 3.8% des voix et 4 sièges. Au total, les partis arabes obtiennent donc 10 sièges.

Le Likoud, qui est devenu un parti à la limite du culte de la personnalité autour de Benjamin Netanyahou, a fait campagne en vantant les succès de politique diplomatique (normalisation des relations avec plusieurs pays arabes) et sanitaire (sortie anticipée de la crise du covid grâce à la vaccination massive). L’opposition a insisté sur les scandales de corruption qui l’entourent et sur l’obscurantisme religieux grandissant de son gouvernement.

La personnalisation extrême de cette élection et l’impression de plébiscite pro ou anti Netayahou ne doit pas cacher certaines tendances électorales lourdes.

Cette élection a marqué une forte progression du camp néo-sioniste, qu’il soit laïque et dans l’opposition ou religieux et pro-Netanyahou. Cette idéologie expansionniste diffère largement du sionisme originel. Elle repose sur la volonté d’annexer les territoires palestiniens et d’en expulser les Arabes. Les laïques ont lâché Benjamin Netanyahou il y a deux ans, provoquant une crise politique dont Israël n’est toujours pas sorti. La cause de cette rupture est l’influence politique et démographique grandissante des ultra-orthodoxes, qui refusent le service militaire et obtiennent des subventions publiques qui réduisent les capacités budgétaires de l’Etat. Ces partis, qui appartiennent certes à des coalitions politiques différentes, représentent plus d’un électeur sur cinq et 26 sièges, 14 de plus qu’aux dernières élections. Le parti religieux sioniste, le plus extrême des néo-sionistes, relève de l’idéologie kahaniste, une idéologie authentiquement raciste et suprémacistes. Les militants de ce parti, qui avait été interdit dans les années 90, mènent régulièrement des expéditions punitives dans les quartiers et villes arabes et jugent positivement l’assassinat d’Yitzak Rabin. Il n’avait même pas obtenu 0.5% des suffrages aux dernières élections. Comme dans les autres démocraties occidentales, Israël est donc confronté à la montée en puissance d’un parti raciste d’extrême-droite qui progresse de manière fulgurante d’une élection à l’autre.

 

Malgré tout, aucun bloc ne semble capable de gouverner. Certaines solutions semblent se dessiner, mais elles semblent toutes aussi bancales que précaires et irréalistes.

Dans le camp Netanyahou, on pousse pour une coalition religieuse face aux laïques. Le parti islamiste Ra’am, qui ne se positionne pas officiellement dans l’opposition, pourrait apporter les quatre sièges d’appoint pour une majorité. Aussi invraisemblable que cette alliance puisse paraître, elle est régulièrement évoquée et des négociations auraient lieu en ce moment-même pour obtenir cette majorité des partis religieux. Qu’importe qu’un des alliés de Netanyahou soit un parti ouvertement raciste contre les Arabes, qu’importe que le Likoud et Yamina amalgament régulièrement l’ensemble des Palestiniens à un peuple de terroristes islamistes, une solution d’alliance avec les islamistes est évoquée. Yamina, toutefois, a indiqué qu’elle refuserait d’être membre d’une quelconque coalition avec un parti arabe.

Du côté de l’opposition, tout semble être fait dans l’unique objectif de sortir Benjamin Netanyahou du pouvoir. Les partis néo-sionistes de droite sont prêts à s’allier aux nationalistes arabes, une perspective inimaginable et absurde il y a encore six mois. Toutefois, sans l’appoint des islamistes, cette coalition n’aurait pas le pouvoir.

La situation est figée, et le scénario le plus probable est finalement celui d’une nouvelle élection dans quelques mois, la cinquième en deux ans. Les thèmes de campagne – influence de la religion, annexion ou démantèlement des colonies, corruption, politique étrangère – sont à mille lieux de la crise sociale qui se joue aujourd’hui en Israël. La progression alarmante de partis politiques extrémistes et ouvertement violents, qui accompagne l’incapacité à trouver un consensus démocratique, est partie intégrante de la Weimarisation de la politique que nous décrivions récemment. La gauche économique, hébraïque ou arabe, n’obtient pas 15% des suffrages, et même si elle est en progression, il semble que ce soit plus conjoncturel que structurel. La question laïque est omniprésente, tant l’extrémisme religieux et l’obscurantisme progressent, mais les partis laïques n’ont pas la majorité. Les résultats locaux démontrent un éclatement total du pays : à Jérusalem, les ultra-orthodoxes obtiennent plus de 30% des voix, alors qu’à Tel-Aviv c’est la gauche qui obtient 30% des voix. Dans les colonies, un électeur sur quatre a voté pour les kahanistes, et presque un sur deux pour Yamina. Les banlieues de Tel-Aviv, villes champignons construites pour accueillir l’immigration russe des années 90, votent massivement pour les néo-sionistes laïques, et les zones arabes sont elles-mêmes divisées, entre villes qui votent pour la gauche nationaliste et bédouins qui votent pour les islamistes.

Israël est en proie à une crise politique qui ne fait que refléter la crise identitaire profonde qui la traverse. Le mode de scrutin proportionnel amène le blocage, mais un mode de scrutin majoritaire mènerait au pouvoir un camp qui ne serait que marginalement soutenu. Arabes ou hébreux, orthodoxes ou laïques, néo-sionistes ou pour la paix, les multiples fractures qui structurent la société israélienne se retrouvent en politique. Tant que cette crise identitaire ne sera pas résolue, Israël ne pourra pas sortir de la crise politique. Pendant ce temps, la crise sociale et la Weimarisation progressent.

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