Prix de l’énergie : la Faute à l’Europe

Face à la flambée des prix de l’énergie dans tous les pays d’Europe, l’Union européenne ne prend aucune décision, mettant en péril artisans, PME et certaines entreprises. En cause, le marché unique de l’énergie, réforme libérale qui a mené à la privatisation du secteur de l’énergie, et se montre incapable aujourd’hui de faire face à la crise.

Le point sur la situation et les pistes pour en sortir avec Emmanuel Maurel, député européen GRS (membre du groupe La Gauche), qui répond aux questions de L’Humanité.

Réforme des retraites : la fonction publique sacrifiée sur l’autel ordolibéral !

La réforme des retraites va également toucher les trois fonctions publiques. Dans un document envoyé à l’ensemble des fonctionnaires de l’État, le gouvernement annonce la couleur : travailler plus longtemps pour 0 % d’augmentation des pensions ! La ligne est claire : économiser sur leur dos.

L’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge de départ sont identiques au secteur privé : 43 annuités et 64 ans pour les « sédentaires » (comprendre : administratifs). Les actifs et super-actifs (policiers, douaniers, soignants) devront quant à eux attendre respectivement leur 59ème et 54ème anniversaires pour partir en retraite au lieu de 57 et 52 ans. Le mode de calcul de la pension de retraite reste cependant inchangé (75% du dernier traitement brut hors primes).

Les fonctionnaires déroulent leur carrière au sein d’un corps (policier, professeur, inspecteur des finances publiques, etc.) qui comprend un ou plusieurs grades, eux-mêmes composés d’échelons. Le changement d’échelon est de droit (et se fait tous les deux à quatre ans), tandis que le changement de grade ne l’est pas et se réalise par cohortes limitées chaque année par concours, examen professionnel ou selon les bonnes grâces de l’administration. Autrement dit : il n’y a pas de place pour tout le monde !

C’est l’échelon qui détermine le montant du traitement brut et donc de la pension de retraite. Ainsi, pour les fonctionnaires arrivés au dernier échelon de leur grade à la veille de leurs 62 ans, le recul de l’âge de départ à la retraite ne leur permettra pas de bénéficier d’une meilleure base de calcul pour leur future pension !

Après la crise de la COVID-19, voici donc comment le gouvernement remercie les soignants des hôpitaux de leur dévouement !

En reculant l’âge de départ à la retraite, le gouvernent pénalise également les fonctionnaires, remplissant déjà toutes les conditions pour partir sans décote, qui décidaient de poursuivre leur activité de 62 à 64 ans pour bénéficier d’une surcote. Ceci amplifie donc l’arnaque du report de l’âge légal : ceux qui ont cotisé le plus longtemps auront perdu le plus de pouvoir d’achat dans leur vie active et pendant leur retraite ! Le gouvernent en a pleinement conscience, c’est pour cela qu’il propose aujourd’hui de discuter du report de l’âge maximal de départ à 70 ans !

Pour justifier cette réforme, le gouvernement met en avant le nécessaire équilibre du régime des retraites.

Mais les fonctionnaires bénéficient de leur propre régime de retraite (programme 741 de la loi de finances pour la fonction publique d’État et Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales – CNRACL).

Diminuer les dépenses publiques, véritable objectif du projet Macron

Dans son rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique pour la loi de finances pour 2022, le ministère des finances (par sa Direction du budget) relevait qu’en 2020, le régime de la fonction publique d’État était bénéficiaire de 1,3 milliards d’euros et que la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) était déficitaire de 1,473 milliards d’euros, notamment dû à la baisse du nombre de fonctionnaires dans les hôpitaux et les collectivités locales.

En somme, le régime de retraite est déficitaire de 173 millions d’euros, liées à la baisse du nombre de fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, en lien direct avec la casse de l’hôpital, la dégradation des finances locales imposées par les gouvernements macronistes, en lien avec leur exigence de voir baisser les effectifs dans les collectivités territoriales !

D’autre part, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) – dans son rapport de septembre dernier – reprend les hypothèses fournies par la Direction du budget. Le nombre de fonctionnaires serait fixe, sauf les 15 000 emplois dans les hôpitaux promis au Grenelle de la Santé. La nécessité d’embauche dans l’éducation, la santé, les soins aux jeunes enfants et aux personnes âgées dépendantes, la culture est oubliée. De 2022 à 2037, l’indice de la fonction publique perdrait 8,3% en pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat dans le privé augmenterait lui de 12,7%. Aucune leçon n’est tirée par l’exécutif de la dégradation de l’attractivité des emplois publics. Compte tenu de ces hypothèses, la part du traitement des fonctionnaires dans la masse totale des rémunérations passerait de 10,5% en 2022 à 7,8% en 2037. Cela présage donc d’une dégradation importante des pensions des fonctionnaires ; on comprend mieux pourquoi le ministre de la fonction publique s’est empressé d’envoyer un courrier électronique aux agents publics de l’État pour leur assurer que leur retraite à 1 250 euros bruts (pour les temps plein et les 43 annuités complètes) ne serait pas remise en cause.

Les économies ainsi espérées sur le régime des fonctionnaires grâce à la réforme Macron-Borne-Ciotti pourraient atteindre quelques 17 milliards d’euros, chiffre que le gouvernement n’affiche pourtant jamais et qui démontre ainsi en creux que l’objectif du projet n’est en rien la sauvegarde d’un système par répartition prétendument menacé de faillite (le COR et les économistes s’accordent à dire que c’est faux ou tout le moins « très exagéré » pour les plus indulgents) mais bien une diminution des dépenses publiques.

Les arguments du gouvernement sont concernant le rapport de l’État au régime général de plus en plus tendancieux : ainsi Bruno Le Maire prétend que l’État mettrait déjà au pot pour réduire le déficit des retraites – celui-ci si l’on en croit le ministre des finances creuserait donc le déficit de l’État –, ce n’est pas le cas, l’État ne subventionne pas le régime général : il paye simplement son dû en tant qu’employeur et, au regard du projet présenté, l’objectif du gouvernement est clairement de faire baisser cette dépense au détriment des pensions des fonctionnaires.

Pour équilibrer la CNRACL, il existe des alternatives : nous proposons d’augmenter les moyens alloués aux collectivités locales et aux hôpitaux afin de leur permettre de mener à bien leurs missions en embauchant plus d’agents, ce qui augmentera conséquemment le nombre de cotisants – et tout aussi vraisemblablement la qualité du service public !

Nous alertions déjà fin 2021 sur les liens entre l’Élysée et la Commission Européenne, qui avait « recommandé » à la France de réformer le régime des retraites et de l’assurance chômage – recommandation qui avait été prise en compte dans le Plan National de Résilience et de Relance présenté le 27 avril 2021 par le gouvernement à la demande de la Commission.

L’actualité sociale fin 2022/début 2023 ne fait que confirmer ce que nous disions alors.

Éducation nationale : Nouveau pacte ou marché de dupes pour les enseignants ?

Dans une tribune publiée le 22 décembre dernier dans Le Monde et intitulée « Pourquoi nous devons réformer l’école », le ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye expose son action ministérielle et présente trois « exigences » :

  • amélioration du niveau des élèves ;
  • travail sur la mixité sociale ;
  • réflexion sur le fonctionnement de l’école.

Le ministre commence par un vibrant hommage à l’école, pilier républicain, et prétend mettre ses pas dans ceux de Jean Zay pour appeler à la double ambition d’une école humaniste et capable de répondre aux besoins du pays. Des réflexions sur les difficultés structurelles de l’Éducation nationale en France (manque de mixité sociale, crise du recrutement des professeurs, mauvaises performances des élèves français dans les enquêtes PISA…) émaillent son propos de plusieurs constats justes, qu’on désespérait de lire sous la plume d’un ministre d’Emmanuel Macron. Le ministre rappelle l’importance de la laïcité, déplore le « niveau qui baisse », prône le renforcement des savoirs fondamentaux, ciblés notamment sur les mathématiques et le français.

Nous jugerons sur pièce les propositions concrètes qu’il présentera pour mesurer l’ambition réelle du projet.

Le ministre aborde ensuite son troisième axe d’action, l’amélioration du fonctionnement de l’école, en proposant un « nouveau pacte » aux enseignants.

Et là se profile une petite musique déjà trop entendue… Le ministre met au cœur de sa critique « environ quinze millions d’heures d’enseignement » perdues chaque année par les élèves, péché originel qui semble la cause de tous les maux. Ces pertes d’heures seraient dues selon lui à « l’incapacité du système à remplacer les professeurs absents » (éclair de lucidité).

Le « pacte » du Ministre se concentre en la formule suivante : travailler plus pour gagner plus ! Gagner plus, cela pourrait consister en la revalorisation du salaire des enseignants, promesse électorale, que le ministre évoque rapidement en disant qu’elle sera « importante » mais sans rentrer dans les détails. Jusque-là, il a surtout été question de revaloriser les débuts de carrière. Le ministre omet dans sa tribune de parler de la perte de pouvoir d’achat des professeurs français depuis 40 ans et n’insiste pas sur l’indispensable rattrapage du retard salarial qui fait des enseignants français les plus mal payés en Europe occidentale : rien sur la revalorisation du point d’indice, rien sur les conditions d’exercice de plus en plus difficiles qui découragent les vocations… Non, il propose aux professeurs de gagner plus en leur proposant tout simplement d’assurer encore de nouvelles missions et donc de faire davantage d’heures supplémentaires : « un changement structurel grâce à un nouveau pacte avec les professeurs qui, par l’évolution de leurs missions, pourront mieux accompagner chaque élève, assurer des remplacements de courte durée, se former hors du temps d’enseignement, etc. » Que de choses on pourrait mettre ainsi dans cet “etc.”

L’essentiel du message est là : pour M. N’Diaye, les profs ne travaillent pas assez ! Pas qu’il n’y en a pas assez, pas que l’on peine à les recruter car le métier n’est plus attractif, pas qu’ils sont bien moins bien payés que leurs collègues allemands, italiens ou portugais… Non, le problème, c’est l’oisiveté des aux yeux de Pap Ndiaye semble être que chaque enseignant français. On est à des années lumières de la réponse au malaise du monde enseignant et à la crise majeure du recrutement.

Avec cette autre proposition phare : les enseignants sont invités désormais à se former… pendant leurs congés ! À quelle autre catégorie de salariés du public ou du privé proposerait-on cela ?

Cette première sortie médiatique d’un ministre assez discret depuis sa nomination est une provocation pour le monde enseignant.

Si effectivement des solutions doivent être trouvées pour remplacer un enseignant en congé maladie court ou en absence pour stage de formation professionnelle (puisque, d’un point de vue administratif, les enseignants ne sont remplacés – quand un remplaçant est disponible – que pour les absences de plus de 15 jours), pourquoi ne pas revenir sur les suppressions massives de postes de titulaires sur zones de remplacements qui ont eu lieu pendant le quinquennat Sarkozy ? Et pourquoi ne pas lancer un recrutement et pré-recrutement ambitieux des futurs enseignants, ainsi que l’amélioration de leur reconnaissance sociale (dont le salaire est un aspect essentiel) et de leurs conditions de travail ?

Le ministre aborde la question par le petit bout de la lorgnette et n’est pas loin de donner ici dans le “prof bashing“. Cela n’est pas à la hauteur et ne constitue pas une réponse à la crise d’attractivité du métier de professeur dont le ministre admet pourtant qu’elle est un problème majeur et qui s’est accentué sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Par ailleurs, si l’exclusion des mathématiques hors du tronc commun du lycée décidée par Jean-Michel Blanquer a enfin été désavouée, le nouveau ministre n’est pas disposé à interroger les problèmes bien connus de la réforme du Bac, qui génère une dégradation de la relation pédagogique en Première et en Terminale ; et un stress considérable tant pour les enseignants que pour les élèves. Rien non plus sur la nécessité de développer une véritable politique d’aide à l’orientation des élèves vers le supérieur alors que l’affectation via Parcoursup est toujours aussi arbitraire et inégalitaire.

Il est urgent que le ministre change de regard. Face à cette situation si symptomatique du désintérêt d’Emmanuel Macron pour les services publics, la GRS réaffirme son soutien aux enseignants, l’importance de l’Éducation nationale pour tenir la promesse républicaine et la nécessité de donner la priorité à l’école publique pour viser la cohésion sociale et l’égalité des chances.

Pierre Dedet avec le pôle éducation de la GRS

JUSTICE-POLICE : NON AU SACCAGE DES RETRAITES !

Les fonctionnaires des services publics de la Justice et de la Police, sous pression et aux conditions de travail loin des besoins, sont tout aussi lucides que les autres salariés français : pour les « carrières longues » comme pour les autres, le projet gouvernemental est une lourde régression sociale. Le passage de la durée de cotisation à 43 annuités dès 2027 (accélération de la réforme Touraine déjà très négative) frapperait encore des fonctionnaires dont le point d’indice a été gelé de 2010 à 2016 puis de 2017 à 2022 et dont le traitement est en grande partie composé de primes qui ne comptent pas pour le calcul du montant de leur retraite.

La GRS s’oppose avec force au projet gouvernemental injuste et brutal de report de l’âge légal de départ à la retraite pour tous. En particulier dans les services publics régaliens que sont la Justice et la Police, la GRS soutient la mobilisation unitaire contre ce projet.
Les études sur la souffrance au travail le prouvent : l’épuisement professionnel lié au sentiment de perte de sens du métier et à l’anxiété se répand dangereusement parmi les fonctionnaires de Justice et de Police. Beaucoup, même parmi les plus anciens, développent des maladies liées à leurs mauvaises conditions de travail, à commencer par des dépressions nécessitant une prise en charge médicale.

Qu’en sera-t-il demain, avec la perspective de travailler deux ans de plus ? Face à cela, il est naturel de se sentir piégé par un gouvernement cynique qui cherche à diviser les salariés et les générations.

L’unité syndicale peut faire reculer le gouvernement et la GRS y apporte son soutien. Elle assure aussi de son soutien les fonctionnaires de Justice et de Police et leurs luttes pour une amélioration de leurs conditions de travail et contre le recul de l’âge légal de départ à la retraite.

TOUTES et TOUS en grève et dans les manifestations jeudi 19 janvier et autant qu’il le faudra !

Samedi 14 janvier 2023, Journée Mondiale de la Logique

La Journée Mondiale de la Logique ce samedi 14 janvier 2023, proclamée par l’UNESCO en partenariat avec le Conseil International de la philosophie et des sciences humaines (CIPSH), nous rappelle que la raison et l’argumentation sont des piliers républicains.
La raison est la chose du monde la mieux partagée, mais il est du devoir de la société de permettre à chacun de la cultiver. C’est pourquoi nous nous battons pour une consolidation des compétences fondamentales à l’école, pour une détection maximale et précoce des difficultés, pour le maintien de l’exigence scientifique et pour le droit à se former tout au long de la vie. Défendre la logique et la raison est un antidote contre tous les obscurantismes qui provoquent tant de dérives…

La journée de la logique doit nous rappeler que ce combat pour la rationalité est une condition pour s’attaquer aux défis qui attendent la France et pour décider collectivement de la voie que nous prendrons afin ne pas subir le progrès mais de l’infléchir vers plus de justice sociale.

Pour nous, Socialistes Républicains, cette journée doit contribuer à promouvoir une culture de l’exigence et de la compréhension mutuelles, par l’éducation et la science, avec un seul but, le progrès humain. Il n’y a pas de justice sans partage de la connaissance et pas de démocratie sans “politesse de la preuve”.

La réforme des retraites de 2023 : une obsession destructrice des libéraux

En préparation depuis la réélection d’Emmanuel Macron, la réforme des retraites qui a été présentée par la première ministre Elisabeth Borne mardi 10 janvier 2023 (lire notre communiqué) est le fruit d’intenses négociations avec la droite parlementaire pour obtenir une majorité. Mais quel que soit le point d’équilibre entre Renaissance, Horizons et Les Républicains, les présupposés de la réforme Macron version 2022-2023 traduisent une obsession néolibérale mortifère.

Leur objectif depuis les années 1990 : faire reculer les dépenses publiques, les systèmes collectifs, les retraites par répartition…

Leur conception : assurance individuelle et financiarisation

C’est un des points majeurs du double dogme libéral de la baisse des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques, censé dynamiser nos économies. En réalité, il s’agit avant tout d’accroître la rémunération du capital au détriment de la rémunération directe du travail et des protections collectives. Selon les tenants de l’ultra-libéralisme, il faut réduire les cotisations sociales des employeurs et la voilure de la protection sociale. Derrière, on voit la pression des banques, des assurances qui lorgnent l’opportunité de créer des fonds de pensions et d’accroître la sphère de la financiarisation et de leurs profits. Cette stratégie n’a en rien débouché sur une bonne situation économique. Au contraire, elle provoque bien des désastres. On le voit avec notre système de santé et c’est engagé pour les retraites.

Pour justifier ces reculs, une stratégie de dramatisation et de détérioration des droits

En permanence, les libéraux au pouvoir et leurs relais médiatiques, économiques et technocratiques ont entretenu un discours sur les supposés « déficits abyssaux » du système pour faire croire que des restrictions s’imposeraient pour « sauver le système ». Les déficits sont même parfois volontairement entretenus : il en est ainsi de la non compensation des allégements de cotisation décidés par l’État pour la Sécurité sociale, du développement des primes au détriment des hausses de salaires, etc.

Le miroir aux alouettes des fonds de pension et d’une part de capitalisation a cependant perdu de sa superbe avec la crise financière : les pays qui avaient misé sur ces méthodes ont vu les pensions fondre comme neige au soleil. Et désormais, sans doute depuis le « quoiqu’il en coûte », cette propagande sur les déficits « insupportables » fonctionne moins bien.

Le mantra macroniste de la « Réforme »

Emmanuel Macron veut tout à la fois se donner une image de réformateur et apporter satisfaction aux institutions européennes et à nos partenaires. Mais il a changé à de multiples reprises d’arguments sur la réforme des retraites.

Lors de sa campagne de 2017, le candidat Macron, qui plaidait pour la retraite par points, la justifiait par un souci de plus grande justice (ce qui est déjà en soi extrêmement contestable) et non, dans le discours, par un motif financier. Il écartait d’ailleurs l’idée de reculer encore l’âge légal de départ à la retraite et il disait même « quand on est peu qualifié… Bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! » (25 Avril 2019)

Autre discours lors de la campagne de l’élection présidentielle en 2022. La justification de la réforme est désormais l’équilibre financier et la « nécessité de travailler plus » due selon lui à l’allongement de la durée de vie et la baisse du ratio nombre d’actifs/ nombre de retraités.

Et puis, après la publication du dernier rapport du COR (en septembre dernier), qui montre une situation beaucoup moins inquiétante que « prévue » (ou « souhaitée » pour certains), le président explique enfin que la réforme dégagera des marges de manœuvre budgétaires pour financer d’autres politiques publiques – dépendance, santé, école, transition écologique, etc. un véritable inventaire à la Prévert ou une nouvelle adaptation de « Pérette et le pot au lait ». Ce dernier argumentaire démontrait donc que le problème n’était pas les retraites mais les finances publiques ; et au demeurant, même d’un point de vue de droite, il paraît quelque peu faible : comment expliquer que ces économies changeraient les paramètres de nos finances publiques quand on parle d’économiser 10 à 15 Mds € par an face aux plus de 1 500 Mds € de 2022 ? Ainsi, aucune raison de détériorer nos retraites. Mieux vaut réfléchir aux moyens de financer les politiques et services publics en particulier, avec d’autres choix fiscaux et une véritable politique industrielle.

Conscient d’avoir affaibli son argumentaire sur l’urgence de la réforme des retraites, lors de ces vœux du 31 décembre dernier, Emmanuel Macron est donc revenu à son argument précédent sur l’importance du déficit, etc.

Pourquoi cette obstination déraisonnable, alors que tous les syndicats comme une majorité de Français (et plus encore des actifs) sont opposés à l’allongement de l’âge de départ en retraite ? Trois explications principales :

  • Emmanuel Macron tient à son image de réformateur : faute d’un projet et d’une vision pour la France, il s’arque-boute sur une pseudo image de « modernisateur », en l’occurrence de conformisme avec la pensée libérale dominante qui a échoué et est remise en cause partout ;
  • Il a été réélu avec une large part de l’électorat de la droite libérale et compte sur ce sujet décrocher une partie des députés LR (pas tous car même dans ce parti traditionnellement engagé dans la remise en cause des retraites, des voix commencent à s’élever sur la nécessité de repenser cette affaire, comme celle du député du Lot Aurélien Pradié, candidat malheureux à la présidence des LR face à MM. Ciotti et Retailleau) ;
  • En réalité, la véritable commande vient de l’Union Européenne et de la Commission qui n’a de cesse d’exiger de la France qu’elle mette en œuvre des « réformes structurelles » pour rétablir des déficits publics inférieurs aux critères du pacte de stabilité (3%) ; lors des recommandations budgétaires devenues quasiment impérieuses, elle n’accepte des délais et dérogations pour la France qu’au prix d’engagements de ses gouvernements à mettre en œuvre dans des délais rapprochés ces fameuses réformes structurelles. D’ailleurs dans le programme de stabilité envoyé par le gouvernement français à la commission européenne pour la période 2022-2027, il est écrit « la maîtrise des dépenses publique repose principalement sur la réforme des retraites »1.

La question majeure de notre souveraineté politique et budgétaire est donc clairement posée, non seulement sur le cadre global du déficit acceptable mais de surcroît sur la méthode à suivre pour réduire ces déficits – il y en a d’autres, par exemple en arrêtant les cadeaux fiscaux aux entreprises sans ciblage, sans contreparties. D’un côté, on ne s’embarrasse pas avec le « quoi qu’il en coûte », et parfois sans discernement, et de l’autre, concernant les retraites, il faudrait accepter une purge dogmatique.

Les gouvernements de gauche ont hélas aussi cédé à ces sirènes dérégulatrices et anti-sociales et ont contribué à la détérioration et l’affaiblissement de notre système de retraites en particulier sous François Hollande. La réforme Touraine (Marisol Touraine est devenue un des soutiens explicites d’Emmanuel Macron dès 2017), qui implique l’allongement progressif de la durée de cotisation à 43 annuités en 2035, est devenue une référence politique pour l’exécutif actuel – tout juste parle-t-il désormais d’accélérer le passage à 43 ans, mais Elisabeth Borne semblait croire, sur France info mardi 3 janvier 2023, que son alignement sur la réforme Touraine, les 43 ans et la borne des 67 ans, était un gage de son engagement progressiste.

Or, en dépit d’une forte mobilisation des Français lors de chacune des réformes initiés ses 30 dernières années, leur accumulation a abouti à une situation déjà très détériorée : diminution des pensions versées, départ toujours plus tardif en retraite, précarité accrue des seniors, renforcement des inégalités sociales. Les projets du gouvernement risquent d’amplifier dramatiquement ces dérives.

Pas de nécessité à cette réforme !

Le COR publie régulièrement un rapport de prévisions sur l’avenir des retraites avec différents scénarios. En septembre 2022, ce rapport annuel présente des chiffres beaucoup moins alarmants que ce qui était attendu. Dans un scénario moyen le déficit du régime serait de :

  • 10,7 Mds € en fin de quinquennat (2027) ce qui représenterait 0,3% du PIB ;
  • 15 Mds € en 2032 ce qui représenterait 0,5% du PIB.

En réalité, la part des dépenses de retraites par rapport au PIB resterait quasi identique à la situation actuelle. Le problème vient plutôt des recettes. On remarquera par ailleurs que sur la base des informations fournies par le gouvernement (et donc de ses orientations), le scénario est construit sans augmentation du nombre d’agents publics (sauf ceux qui sont prévus au Ségur, notoirement insuffisants, mais rien pour l’école, la justice, la sécurité, etc.) ; sur la base des mêmes sources, il est bâti sur l’hypothèse que l’indice de la fonction publique perdrait 8,3% de pouvoir d’achat (en comparaison le privé en gagnerait 12,7 dans le même temps) ! On notera que ce type de prévisions décrit en réalité le projet du gouvernement mais sans qu’il n’en soit jamais rien dit ni aux Français, ni aux agents publics. Ainsi une large partie de la baisse des recettes anticipée pour notre système de retraites est provoquée par la baisse de la masse salariale dans la fonction publique. Soit cela confirme une nouvelle régression de nos services publics qui mériteraient au contraire une stratégie de remise à flot, soit c’est une simulation volontairement erronée pour creuser le déficit annoncé. Les annonces de créations de postes des dernières semaines semblent préciser la deuxième hypothèse.

Par ailleurs, prenons tout de même comme référence ces chiffres. Les 10,7 milliards de déficit anticipé pour 2027 doivent être mis en rapport avec le fait que les pensions de retraite constituent le premier poste des dépenses publiques de protection sociale ; leur montant s’élève à 332 milliards d’euros en 2020 (soit 14,4 % du produit intérieur brut et 40,8 % des prestations de protection sociale), c’est un déficit de 3,32 %. Ce n’est pas un drame.

Mais on pourrait trouver des recettes pour résorber ces déficits soit par exemple :

  • avec une hausse des cotisations : 1 point de cotisation supplémentaire suffirait ;
  • élargir la base des cotisations et des retraites (primes, revenus financiers, etc.).

Par ailleurs , il faut comparer ces 10,7 Milliards avec les baisses fiscales votées par Emmanuel Macron : ISF, Flat tax (ou prélèvement forfaitaire unique, PFU), baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation définitive du CICE en baisse de cotisations sociales des entreprises, diminution et suppression de la TH … Les mesures nouvelles de hausse et de baisse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) se sont traduites par une diminution nette d’environ 40 milliards d’euros par an de ces prélèvements au cours des années 2018 à 2021 (hors mesures d’urgence temporaires), sans effet positif démontré.

La réalité est donc qu’il n’y a pas de péril en la demeure et qu’il existe des alternatives à son projet de dégradation majeure de nos retraites.

Une réforme injuste qui aggraverait lourdement une situation des retraites déjà dégradée

Le projet Macron aggravera une situation déjà détériorée par les diverses réformes engagées depuis 1993

Ces réformes successives ont réduit les niveaux des pensions, renforcé la précarité des seniors et retardé l’âge de départ en retraite, encore plus pour obtenir une retraite à taux plein. Cette situation est d’autant plus difficile pour les salariés les plus modestes, les femmes, ceux qui ont des emplois pénibles ou difficiles et ceux qui connaissent un parcours professionnel heurté.

Avec ces réformes, on n’a pas toujours saisi à court terme les effets négatifs des décisions prises et c’est avec le temps qu’est réellement apparue la nocivité des choix. D’où l’importance de se mobiliser pour bloquer ce qui se prépare, car il sera beaucoup plus difficile par la suite de corriger les dégâts.

La réforme Balladur en 1993 est la première étape de l’allongement des trimestres cotisés pour avoir une retraite à taux plein (on passe de 37,5 annuité à 40) ; les retraites ne seront plus indexées sur l’évolution des salaires mais sur l’inflation et seront calculées sur la base des 25 meilleures années et non plus 10. Ainsi le calcul des pensions va baisser de façon significative.

Avec la réforme Fillon en 2003, les annuités de cotisations nécessaires passent de 40 à 41 ans et instaure un système de décote pour ceux qui partent avant ce niveau de cotisation valable jusqu’à 65 ans.

Sous Nicolas Sarkozy, non seulement le gouvernement s’attaque aux régimes spéciaux mais en 2010, il fait passer l’âge légal à partir du moment où l’on peut partir en retraite de 60 à 62 ans, les annuités cotisées passent à 41,5. Le système des décotes fonctionne désormais jusqu’à 67 ans.

Sous François Hollande, la mesure de carrière longue est élargie à ceux qui ont travaillé avant 20 ans, mais la réforme Touraine instaure en 2014, une augmentation des annuités de cotisations d’un trimestre tous les 3 ans passant à 43 annuités pour les générations à partir de 1993. Un compte pénibilité est bien créé qui donne théoriquement droit à des équivalents trimestres cotisés pour les salariés concernés ; mais le système mis en place est illisible, renvoyé à des discussions ultérieures pour le rendre opérant. Emmanuel Macron va remettre en cause le principe même de ce mécanisme.

Reste que même sans une nouvelle réforme, nous en sommes à un âge de départ légal à 62 ans et que l’allongement des trimestres cotisés est programmé jusqu’à 43 ans induisant encore des baisses de pensions. L’allongement de l’âge légal de départ en retraite, ou/et de la durée de cotisation ont des effets redoutables :

  • L’augmentation importante de l’âge moyen de départ en retraite (à taux plein ou non) – il est déjà au-dessus de l’âge légal ;
  • La baisse des pensions touchées ;
  • L’accroissement de la précarité dans la dernière partie de sa vie professionnelle ;
  • Un nombre croissant de salariés qui ne bénéficieront pas de la retraite.

Une baisse importante des pensions, le retour massif des retraites pauvres

Une des décisions qui a fait décrocher les retraites de l’évolution des salaires a été l’indexation de l’inflation. Dans les 30 ans passés de faible inflation, les salaires ont augmenté davantage en moyenne.

Dans le rapport du COR, il est indiqué que la pension nette moyenne est en 2020 de 1 544 euros passerait à 1 697 euros (+10%) en 2032 et à 2 024 (+31%) en 2070, tandis que dans les mêmes simulations le revenu net d’activité passerait de 2 426 à 3 501 euros (+44%), voire 5 042 (+107%). En 2021, les pensions moyennes versées représentent 50% des salaires moyens (avec de grandes inégalités).

Dans le cadre des réformes déjà décidées, elles devraient ne plus représenter que 42% et en 2070 plus que 34,8%. On mesure l’ampleur de la chute avec un nouveau recul. En parallèle, le taux de remplacement devrait diminuer de 10%.

Si l’on compare le niveau de vie des retraités, il est actuellement proche de celui de l’ensemble de la population. Si on prend la situation comme base 100, il ne serait plus que de 89 en 2050 et de 84 en 2070. C’était pourtant un des piliers de notre modèle historique offrir : un niveau de vie comparable à celui des actifs.

C’est le retour programmé à la situation antérieure aux années 1980, où les retraités étaient la partie pauvre de la population.

L’annonce d’une retraite minimum garantie à 1200 euros bruts n’est en réalité qu’un infime pansement, car cette somme ne sera assurée que pour ceux qui auront atteint l’âge légal de départ et l’entièreté de leurs trimestres ou bien 67 ans. Cette mesure est estimée à 200-500 millions d’euros par an ; son extension aux retraités actuels, réclamée par LR, coûterait le triple… malgré l’imprécision des chiffres, la négociation engagée entre l’exécutif et LR sur cette base démontre l’inanité de l’argument budgétaire de la réforme pour en révéler l’obsession dogmatique. Évidemment plus l’âge légal et la durée de cotisation s’élèvent, plus obtenir cette garantie (qui n’est pas le Pérou) s’éloigne.

Une précarité redoutable des seniors

De très nombreux salariés ne sont déjà plus en activités lorsqu’ils atteignent enfin le droit de toucher leur pension. L’âge moyen de cessation définitive réelle d’activité est d’environ deux ans avant celui de l’accès aux pensions de retraite.

Ainsi il existe une zone grise où les salariés ne sont ni en emploi, ni en retraite. Ils représentent 16,7% des personnes de 62 ans en 2021 (3% d’entre eux sont au chômage , les 13,7% en inactivité sont soit en invalidité, soit au RSA ou vivent des revenus de leur conjoint).

Si la réforme de 2010, qui a fixé à 62 ans l’âge légal de départ en retraite a augmenté de 20 point le nombre de salariés de 60-61 ans en emploi, c’est loin d’être une hausse massive de l’emploi des seniors et cela a surtout augmenté le nombre de ceux qui sont dans la zone grise, une situation par ailleurs très contrastée en fonction des métiers. Ainsi le nombre d’ouvriers en zone grise a augmenté de 16 points. En 2019, à 61 ans, 28% des « actifs » sont dans un emploi et 35% ni en retraite ni en emploi … Plus nombreux donc que ceux qui sont encore au travail !!!

En 2021, dans la tranche d’âge 60/64 ans, 25% des non diplômés ont un emploi contre 53% des diplômés.

Parier sur l’emploi des seniors est, d’une part, très aléatoire et, d’autre part, très inégalitaire. C’est un argument trompeur qui sert d’alibi à cette grave détérioration.

Avec un recul supplémentaire de l’âge de départ en retraite, un grand nombre de salariés n’en bénéficieront pas et surtout celles et ceux qui ont eu des métiers ou des parcours difficiles : actuellement, à l’âge de la retraite, un quart des plus pauvres sont déjà décédés.

En 2016, l’âge moyen de vie en bonne santé était de 64,1 ans pour les Femmes, 62,7 pour les Hommes !! Bref avant l’âge légal que propose le gouvernement. En réalité à 64 ans, la moyenne cache un très grand nombre de salariés qui sont déjà complètement usés, parfois malades et handicapés, surtout ceux qui ont connu des travaux pénibles.

La pénibilité doit certes être combattue dans tous les emplois (elle l’est insuffisamment), reste que celle-ci, même réduite, amène à une usure et à une fatigue qui réduit l’espérance de vie en bonne santé et doit être impérativement et sérieusement prise en compte dans le calcul du départ en retraite. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et aucune mesure dite de pénibilité ne prend en compte par métier une avancée de l’âge de départ. L’argument de la reconversion est un leurre, car la plupart des salariés avec un emploi pénible peuvent très difficilement changer de métier, qui plus est quand ils sont seniors.

Mobilisons-nous massivement avec les organisations syndicales unies, pour le retrait de la réforme. Là est l’urgence absolue !

Nous exigerons l’arrêt des mesures Touraine d’allongement programmé des durées de cotisations et des revalorisations immédiates des petites retraites ! Et plus encore, nous combattrons leur accélération.

C’est le préalable à l’engagement d’une grande réforme de progrès et de justice que la gauche doit proposer pour l’avenir.

1 https://g-r-s.fr/retraites-et-assurance-chomage-des-reformes-coordonnees-entre-la-commission-et-lelysee/

Comment et pourquoi le marché de l’électricité a déraillé

Dans une note rédigée pour les Economistes atterrés, David Cayla nous aide à comprendre l’impasse dans laquelle l’ouverture à la concurrence a plongé le marché de l’électricité.

« Interrogée par les députés européens le 8 juin dernier, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a reconnu que le marché européen de l’électricité « ne fonctionne plus ». Fin août, elle s’est engagée à « une réforme structurelle du marché de l’électricité ». À l’heure où ces lignes sont écrites, les contours de cette réforme n’ont pas été dévoilés.

Mais une analyse lucide montre que l’Union européenne s’est fourvoyée en créant un marché de l’électricité profondément dysfonctionnel qui engendre des prix instables et élevés au profit d’acteurs qui soit n’apportent aucune valeur sociale, soit bénéficient de rentes indues. C’est toute la théorie économique dominante qui est prise en défaut. Cette note vise à expliquer les causes de ces dysfonctionnements et à montrer pourquoi le système fondé sur des monopoles publics nationaux s’avère supérieur à un marché de l’électricité fondé sur une concurrence artificielle. »

Retraites : une réforme inutile et injuste !

Elisabeth Borne annonce ce 10 janvier une réforme des retraites négociée entre la coalition d’Emmanuel Macron et Les Républicains d’Eric Ciotti. Le résultat était attendu et ne comporte guère de surprise : l’âge légal de départ sera reporté à 64 ans et la loi Touraine sera accélérée pour atteindre 43 annuités de cotisations pour les personnes nées à partir de 1961.

Il n’y avait pas d’urgence à infliger ce mauvais coup aux Français. Comme l’indique le Conseil d’orientation des retraites (COR), le scénario moyen du déficit en 2032 ne serait pas supérieur à 0,5% de PIB, soit un cinquième de la fraude fiscale et sociale, ou un dixième des « aides » sans contreparties versées aux entreprises avant l’éclatement de la pandémie !

Pour faire des économies et se plier aux injonctions de la Commission européenne, le gouvernement a délibérément choisi de s’en prendre à la solidarité nationale et de tout faire peser sur ceux qui travaillent. Cette régression sociale aboutira à un appauvrissement des futurs retraités, notamment les travailleurs précaires, ceux qui exercent des métiers pénibles, les carrières longues et les femmes.

Comme 80% des Français, la GRS rejette totalement la réforme des retraites de Borne, Ciotti et Macron. Ce dernier a beau dire qu’il tient un engagement de la campagne présidentielle, il sait parfaitement que nos concitoyens ne l’ont pas élu pour ça, mais pour faire barrage au Rassemblement National.

La GRS soutiendra toutes les initiatives syndicales, politiques et de la société civile pour faire échec à cette réforme désavouée par le pays avant même d’être débattue au Parlement. Nous appelons à la plus large mobilisation pour faire entendre raison au gouvernement et l’obliger à retirer son projet.

“Transferts de nos données personnelles aux États-Unis : pourquoi la Commission est-elle si laxiste ?”

Sans sourciller, comme ça, presque entre deux portes, la Commission de Bruxelles vient d’autoriser le transfert des données personnelles des Européens vers les États-Unis. Qui a bien négocié ? Et qui a fermé les yeux ? Et, surtout, est-il trop tard pour faire machine arrière ? Marianne fait le point sur le dossier, alors que la Commission européenne a lancé en décembre dernier un processus d’adoption de la décision d’adéquation* concernant le cadre de protection des données entre l’Europe et les USA. Emmanuel Maurel y revient longuement sur ce dossier.

Qu’est-ce qui a poussé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à passer un accord avec Joe Biden, en septembre, pour que les données personnelles de tous les Européens soient transférées aux États-Unis ? « Cela fait partie des choses que l’on ne s’explique pas, assure Emmanuel Maurel, député européen rattaché au groupe de gauche. Cet accord ne respecte pas le RGPD [Règlement général sur la protection des données] et nous pensions que les Allemands, qui sont très tatillons en matière de droit, s’y opposeraient. Ne mentionnons pas la France, qui parlait d'”autonomie stratégique”, d'”indépendance industrielle” et de “cloud européen”. »

Côté américain, l’appropriation de ces données, de tous les éléments se rapportant à notre vie publique comme privée, fait sens. Les Gafam comme les sociétés d’Elon Musk réclament – pour bâtir le nouveau monde de l’intelligence artificielle, qui doit prédire les besoins des individus et, parfois même, les inventer – de disposer des données personnelles d’un maximum d’individus. « C’est l’or noir de ces sociétés : sans lui, Musk ne peut pas construire son rêve poursuit notre eurodéputé. Joe Biden a considéré – c’est tout à fait certain – que les intérêts économiques des Gafam prévalaient sur tout le reste. Il y a forcément un lien entre cet accord et le lancement de cette “intelligence artificielle”. »

Côté européen, l’abandon de cette souveraineté numérique ne répond à aucune logique, au regard des engagements pris, sauf si l’on applique la nouvelle clé de compréhension issue de la guerre russo-ukrainienne. « La Commission européenne, dans sa très grande majorité, considère que l’on a besoin du soutien des États-Unis non seulement pour aider les Ukrainiens, mais aussi pour nous protéger, estime Emmanuel Maurel. Il convient, dès lors, d’être solidaire de leur politique dans tous les domaines. Quitte à prendre des dispositions irréversibles en remettant les questions de fond à plus tard ! » Les pays scandinaves, les pays de l’Est, proches géographiquement de la Russie, sont sur cette ligne, comme l’Italie de Giorgia Meloni, qui se fait d’autant plus atlantiste qu’elle veut légitimer son gouvernement, dominé par l’extrême droite. « N’oublions pas non plus que ce pays – comme l’Allemagne – compte sur les États-Unis pour suppléer ses besoins en gaz » renchérit Philippe Latombe, député MoDem.

ADIEU LE CLOUD EUROPÉEN

Les entreprises européennes participent également de ce soutien à la politique économique américaine. La SAP SE, société allemande en pointe dans le domaine du progiciel, veut développer ses relations avec les sociétés américaines dont elle est le fournisseur. « Elle pèse d’autant plus fort sur son gouvernement que l’Allemagne fonctionne en écosystème ouvert avec ses entreprises, à la différence du système français, où tout cela est plus feutré » considère Philippe Latombe. Et le français Thales, qui vient de racheter OneWelcome, un logiciel de gestion des identités et des accès clients, outil essentiel dans le monde de la cybersécurité, serait aussi favorable à l’accord Biden-von der Leyen. Une société de cyber­sécurité doit théoriquement exploiter le plus de données personnelles possible pour être efficace. Si l’on sait que 42 % des entreprises françaises sont dotées aujourd’hui d’un système de protection cyber et que 72 % le seront dans dix ans, la position de Thales s’explique mieux. « N’oublions pas non plus que Thales a passé un partenariat avec Google pour créer un cloud de confiance, ce qui condamne la naissance d’un cloud européen pourtant appelé de ses vœux par Emmanuel Macron. Le mal était déjà fait » tranche Emmanuel Maurel. Cap Gemini et Orange, qui ont également passé un accord avec Microsoft en vue de créer un cloud de confiance, ne sont pas non plus hostiles à cet arran­gement. Pour leur défense, ces sociétés françaises assurent qu’elles conserveront la maîtrise de la clé d’accès à nos données.

Isolée sur la question, la France reste donc bien silencieuse sur ce dossier crucial. Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, que l’on a vu plus bavard sur le sujet, n’a pas fait connaître sa position. On sait seulement qu’il ne veut pas participer aux négociations informelles menées par Valdis Dombrovskis, commissaire en charge de l’Économie et du Commerce, et par la vice-présidente chargée du Numérique, Margrethe Vestager, avec les Américains Antony Blinken, secrétaire d’État, et Gina Raimondo, secrétaire au Commerce. Breton ne cautionnerait pas ces rencontres, qui se déroulent en dehors de tout mandat délivré par les États membres. Un peu de courage politique ne nuirait pas. Il est tout de même question de commerce mondial, de normes technologiques et d’administration des données. Rien ne semble donc contrarier l’adoption, au début de 2023, d’un accord dit « d’adéquation » sur le transfert des données. Celui-ci sera d’autant plus facile à mettre en œuvre qu’il ne répond pas, contrairement à un accord commercial, à la règle de l’unanimité.

Le terme « adéquation » prête d’ailleurs à sourire, car il suggère qu’il puisse y avoir convergence entre le droit américain et le droit européen. Ce qui n’est pas le cas. Cela provoque donc des réactions. Ainsi, Maximilian Schrems, l’avocat autrichien qui a fait invalider par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) deux accords précédents ­passés avec les États-Unis sur le même thème, le « Safe Harbor », en 2015, et le « Privacy Shield », en 2020, déclare : « On a vraiment l’impression que la Commission européenne prend sans cesse des décisions identiques sur la question, en violation de nos droits fondamentaux s’emporte le défenseur européen de la vie privée, fondateur de l’association None of Your Business (« Ce n’est pas votre affaire »). Je ne vois pas comment tout cela pourrait survivre à l’examen de la Cour de Justice. C’est un peu comme si les banques suisses vous disaient : “Donnez-nous votre or”, et que, une fois que vous leur auriez transféré, elles vous informeraient que vous n’avez plus aucun droit dessus car vous êtes étranger. » Me Schrems précise en guise d’explication : « Nous avons un conflit de juridictions : l’une, européenne, qui demande la protection de la vie privée ; et l’autre, américaine, qui prône la surveillance. Les sociétés qui gèrent les centres de données sont broyées entre les deux systèmes. » Et le député européen Emmanuel Maurel de renchérir : « Depuis l’adoption du Patriot Act, nous ne sommes plus certains que nos droits fondamentaux soient respectés par les États-Unis. Nous n’avons pas, avec les Américains, la même notion de ce que l’on appelle la sécurité. Nous n’avons pas, en conséquence, assez de garanties sur les protections et les droits de recours. Aux États-Unis, quand vous saisissez la justice sur ces problèmes de protection de données, vous devez saisir au préalable un médiateur, qui est un fonctionnaire des services des renseignements. » Me Schrems prédit : « La surveillance de masse va continuer, mais, à la fin, l’opinion de la CJUE l’emportera et tuera une nouvelle fois cet accord. »

LE PIÈGE PARFAIT

Le temps de la justice n’étant pas, et de très loin, aligné sur celui des technologies, 90 % des données personnelles des Européens auront été transférées aux États-Unis quand la Cour rendra son verdict. C’est le piège parfait, celui qui ne laisse aucune échappatoire, mais donne l’impression qu’on nous a donnés, à nous, les Européens, notre chance. Il sera alors certain que les entreprises du Vieux Continent ne voudront plus changer leurs modes de fonctionnement, leurs codes sources, investir du temps et de l’argent pour rapatrier et gérer les données personnelles. « C’est pourquoi je demande que des préconisations soient prises au moment où nous saisirons la Cour afin d’empêcher que le transfert des données soit irréversible, souhaite Emmanuel Maurel. À écouter les députés, aussi longtemps que le conflit russo-ukrainien perdurera, cela ne pourra pas être le cas. »

ON NE BADINE PAS AVEC LE CONSENTEMENT

Accepter de partager ses données personnelles, c’est permettre à des entreprises de connaître l’intégralité de sa vie. Famille, réseau d’amis, déplacements, loisirs, situation médicale, maritale, tout peut être connu à partir de la géolocalisation, de l’historique de recherche, de la lecture des courriels comme des messages postés sur les réseaux sociaux. Sur le marché mondial des données personnelles, ces informations ont un prix. Les sociétés qui les achètent les utilisent pour vendre de la publicité, des produits ou pour influencer des choix culturels et politiques. En acceptant l’installation de cookies, c’est-à-dire de fichiers espions, l’internaute autorise que sa personnalité, sa vie dans toutes ses composantes, soit vendue aux enchères à des sociétés qui vont la monnayer. L’obtention du consentement exigé par le Règlement européen sur la protection des données est la seule garantie dont l’internaute dispose. Google avait installé sur les 310 millions de téléphones Android un identifiant unique facilitant l’envoi de publicités ciblées sans que les internautes puissent s’y opposer, mais la firme de Mountain View a dû renoncer à l’exploiter pour respecter le droit européen, suffisamment exigeant en la matière. En janvier 2022, la Commission de la protection de la vie privée, autorité belge de protection des données, dont la décision s’impose à toutes les Cnil en vertu du principe du « guichet unique », a exigé que le consentement de l’internaute ne soit pas obtenu par défaut, sans que celui-ci soit clairement informé. Si tel est le cas, toutes les données recueillies à son insu doivent être supprimées.

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